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à accepter, ses ennemis vont jusqu’à dire à solliciter les fonctions que des relations de haute confiance avec M. de La Chalotais lui commandaient impérieusement de décliner.

Les maîtres des requêtes de l’hôtel, arrivés à Rennes pour y remplacer les magistrats bretons, ouvrirent l’année judiciaire avec la solennité accoutumée. M. de Calonne prononça une longue mercuriale « sur l’obligation ou sont tous les juges de remplir les fonctions auxquelles ils sont assujettis par serment, sur les abus qu’enfante l’abandon desdites fonctions, et sur la bonté du roi d’avoir envoyé des magistrats de son conseil en Bretagne pour n’y pas laisser ses sujets sans juges. » Des incidens où se révélait l’énergie du sentiment national vinrent donner à cette séance d’inauguration une physionomie caractéristique, L’ordre des avocats ne se présenta, point à la prestation habituelle du serment, et tous les membres du chapitre de la cathédrale refusèrent de célébrer la messe du Saint-Esprit, qu’il fallut faire dire par un cordelier « à ce requis. » A la fin de décembre, les prisonniers furent transférés à Rennes et déposés dans le couvent, dont le vaste réfectoire servait d’ordinaire aux réunions des états. Le lendemain de leur arrivée, M. de La Chalotais et son fils furent conduits sous bonne escorte dans leur hôtel pour assister à l’inventaire de leurs papiers. Cette longue opération terminée, les prisonniers furent admis à voir leur famille durant une heure, et le lendemain ils partaient pour Saint-Malo sous l’escorte de forts détachemens de cavalerie, contraints, sur un parcours de dix lieues, d’écarter les masses du peuple, pour lesquelles ce sinistre appareil semblait l’indice d’une issue sanglante et prochaine.

Incarcérés séparément dans la tour de Saint-Malo, les six magistrats reçurent enfin la visite des personnages chargés de leur révéler leurs crimes et de statuer sur leur sort. M. de Calonne se retrouva en face de M. de La Chalotais, avec lequel il avait engagé l’année précédente des communications intimes relatives à un projet de conciliation touchant aux agitations parlementaires, projet dont le procureur-général de Rennes avait agréé les bases. Du rôle de correspondant confidentiel, M. de Calonne avait passé à celui d’accusateur, et, ce que La Chalotais ignorait encore, à celui de calomniateur impudent. Le mois de janvier fut rempli par des interrogatoires presque journaliers que dirigeait M. Le Noir, alors conseiller d’état et plus tard lieutenant de police, chargé de l’instruction du procès. Le fait sur lequel portèrent d’abord les questions, parce qu’il était le plus énorme sans être pour cela plus sérieux, ce fut l’imputation d’avoir composé et adressé à un ministre des écrits anonymes injurieux et menaçans pour le prince. La Chalotais n’avait entendu parler jusqu’alors que très vaguement de cette étrange