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De quelques ponts-neufs et de factums écrits en style de crocheteur sortit l’étrange, accusation dont personne encore ne soupçonnait l’importance. L’interruption du cours de la justice avait livré l’instruction de cette affaire à l’intendant de la province en l’absence du commandant, et M. de Flesselles, qui avait associé son sort à celui du duc d’Aiguillon, servait avec empressement les inimitiés de l’homme dont il attendait sa fortune. Ce magistrat faisait partir chaque jour pour la Bastille, dont la chute, survenue vingt ans plus tard, lui réservait une mort sanglante, quantité de prisonniers pris à peu près au hasard parmi les citoyens de toutes les conditions. Dans la seule ville de Rennes, les arrestations dépassèrent le nombre de trente dans le mois d’octobre. Une seule était motivée par un délit sérieux. Un jeune commis négociant, du nom de Bouquerel, avait écrit au ministre de la maison du roi une lettre dans laquelle il semblait menacer Louis XV du sort réservé à son infortuné successeur, s’il ne satisfaisait promptement au vœu du peuple en rendant à celui-ci les seuls magistrats qui eussent sa confiance. Cet homme confessa sa faute sans hésiter, jurant d’ailleurs en présence de Dieu, devant lequel il se croyait prêt à paraître, qu’il n’avait pas communiqué sa lettre, et que personne ne l’avait ni connue ni conseillée ; mais ce que la passion admet le moins dans les temps de trouble, c’est l’isolement des crimes. On arrêta donc, avec les parens de Bouquerel, des avocats et des procureurs suspects de relations avec lui. Quelques jours après, ce fut au tour des ouvriers imprimeurs qui avaient fort innocemment commencé la composition d’un manuscrit dont l’auteur s’empressa, sur la connaissance de ces poursuites, d’aller se nommer à l’intendant. Cet écrivain était un jeune conseiller aux enquêtes, M. Gharette de La Collinière, neveu de M. de La Gascherie, qui fut emprisonné avec son oncle dans le cours du mois suivant. Le corps du délit était une œuvre que sa spécialité semblait devoir réserver au jugement de l’Académie des Inscriptions. Il s’agissait en effet d’un projet de réponse à un long mémoire historique que venait de faire composer M. de Laverdy sous ce titre : Preuves de la pleine souveraineté des rois de France sur la Bretagne. Dans l’écrit de M. de La Collinière, Clovis et Grégoire de Tours occupaient beaucoup plus de place que Louis XV et ses ministres, ce qui n’empêcha pas ce manuscrit de servir de base à l’accusation criminelle intentée contre son auteur, lorsque le souple talent de M. de Galonné eut étayé sur