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avait pris, depuis le refus du vote et de l’enregistrement des deux sous pour livre par l’assemblée bretonne, les plus formidables proportions. M. de La Chalotais, que nous avons vu figurer aux états de 1762 parmi les commissaires du roi, n’avait prêté, au représentant de l’autorité royale qu’un concours des plus équivoques, et M. de Caradeuc, son fils, eut durant la tenue de 1764 une attitude bien plus hostile encore au commandant de la province. Chercher dans les dispositions hautement avouées de ces deux magistrats la trace d’un complot contre la sûreté de l’état, transformer M. de La Chalotais en factieux et réclamer sa tête parce qu’il était mal avec le chef de l’administration locale, c’était là certainement un acte insensé ; mais telle était cette anarchique organisation que le pouvoir, en disposant arbitrairement de la liberté des citoyens, ne disposait pas toujours des agens les plus nécessaires à son action, et qu’il lui était plus facile de jeter un homme dans un cul-de-basse-fosse que d’enlever sa charge à un procureur-général. Il aurait été aussi naturel de révoquer M. de La Chalotais en 1764 qu’il fut révoltant de l’emprisonner en 1765. Fonctionnaire malveillant pour ses supérieurs hiérarchiques, le noble magistrat n’était pas plus un séditieux qu’un conspirateur. A la veille de subir les plus cruelles persécutions, il était encore ardemment dévoué à la monarchie, et, lorsque la question des démissions fut agitée à Rennes au retour des magistrats mandés à Paris, le procureur-général fit, de l’aveu même du duc d’Aiguillon, les derniers efforts pour détourner ses collègues d’une résolution dont sa haute sagacité avait mesuré les conséquences politiques. M. de La Chalotais comprit fort bien que, si le parlement laissait la province sans tribunaux, les magistrats perdraient bientôt toute leur puissance régulière, et qu’ils légitimeraient de la part de l’autorité un coup d’état fort périlleux pour eux comme pour elle. Ce fut en effet ce qui arriva, lorsqu’à la suite des refus réitérés faits par les membres du parlement de remonter sur leurs sièges, d’autres juges furent appelés pour les remplir, et que le bailliage d’Aiguillon vint remplacer jusqu’à la fin du règne le parlement vénéré de Bretagne. Mais il est des momens où l’on ne raisonne plus, et la magistrature était arrivée aussi bien que le ministère au dernier paroxysme de la passion. Les démissions furent donc données et maintenues, comme je l’ai précédemment exposé, malgré l’avis de la plupart de ceux qui crurent devoir s’y associer par honneur, et d’un autre côté les. poursuites criminelles contre les plus honorables magistrats furent entamées, non parce que les parlementaires avaient compromis, en cessant de rendre la justice, le premier intérêt des peuples, mais parce que leurs partisans, au moyen de vers, de gravures et de lettres anonymes, avaient infligé