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ont toujours été ramenés promptement par la gravité croissante d’une situation à laquelle leur autorité, leur esprit de ressources, leur expérience de la politique européenne, les mettent seuls en état de faire face. Ils ont des ennemis, ils n’ont point de rivaux. Alternativement grands-vizirs et ministres des affaires étrangères. ils ont porté seuls, on peut le dire, le poids des difficultés accumulées qui remplissent aujourd’hui d’angoisses les esprits attentifs et font présager à plusieurs, non sans raison peut-être, une prochaine catastrophe. Ces difficultés ont revêtu la forme nouvelle d’une crise financière continue. Aussi les finances sont-elles l’objet sur lequel a porté dans les six dernières années le principal effort d’Aali, de Fuad surtout, qui en a, lors de son premier grand-vizirat, accepté la surveillance et entrepris la réforme. Quel est à cette heure le fruit de ces efforts ? La dette totale de l’empire ottoman, dont le chiffre n’est pas facile à déterminer, doit s’élever à 93 millions de livres turques, soit 2 milliards 139 millions de francs, qui se répartissent en 40 millions de livres pour la dette intérieure et 53 millions pour la dette extérieure. Une telle dette n’aurait rien de menaçant pour la Turquie, si les richesses qu’elle recèle étaient disponibles ou faciles à mettre rapidement en valeur ; mais la Turquie succombe sous le poids de ses engagemens. Dès 1862, au sortir d’une crise des plus sérieuses, elle n’a pu contracter un emprunt en Europe que sur la déclaration expresse faite à la chambre des lords par lord Palmerston, que l’emploi de l’argent serait surveillé par une commission, qui fut en effet composée de M. le marquis de Plœuc pour la France, de lord Hobart pour l’Angleterre, de M. Lackenbacker pour l’Autriche. La même déclaration suffirait-elle à lui ouvrir- un crédit maintenant ? Il est permis d’en douter. En voyant la Turquie dépérir ainsi, on la dirait incapable de s’acclimater dans la vie des nations modernes, d’en respirer l’air, d’en supporter les conditions ; c’est qu’il est dangereux d’escompter l’avenir pour un état qui n’est sûr de rien, et d’affronter un mode d’existence auquel son organisation ne l’a point destiné. Fuad, en se chargeant d’introduire la Turquie dans cette voie, les puissances occidentales en l’y poussant avec énergie, ont assumé une responsabilité des plus graves.

Les tentatives en apparence les mieux combinées de Fuad, les institutions de crédit où il se flattait de trouver de puissans auxiliaires, les opérations hasardeuses auxquelles il s’est décidé, tout a tourné contre le but qu’il poursuivait. Pour débarrasser la Turquie d’un papier avili et d’une monnaie sujette à un agio formidable, pour la doter d’une monnaie fiduciaire sérieusement garantie et universellement acceptée, il s’adresse à une institution déjà