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commission délicate pour la cour de Madrid. Il occupait, lorsque Reschid le choisit pour commissaire dans les principautés danubiennes, le poste de grand-référendaire du divan et de premier interprète de la Porte.

Fuad est l’homme des missions difficiles, qui demandent de la souplesse, de la décision, peu de scrupules. Reschid, toujours aux aguets, avait puissamment aidé à sa fortune ; il le connaissait bien et n’aurait pu trouver en Turquie d’homme plus capable d’accomplir l’ingrate besogne exigée par les circonstances. Un premier commissaire envoyé en Valachie après la fuite du prince Bibesco avait rétabli l’ordre en instituant, d’accord avec les libéraux du pays, sous le nom de lieutenance princière, un gouvernement régulier qui mettait le pouvoir aux mains des amis de la Turquie. Ce n’était pas ce que voulait la Russie, toute disposée à rendre la Porte responsable des troubles qui avaient éclaté dans les principautés ; elle voulait le retour au règlement organique, qui assurait son influence et laissait libre carrière à ses intrigues, elle voulait surtout le châtiment des perturbateurs, partisans de la Turquie, et que ce châtiment leur fût infligé par la Turquie elle-même. Lorsque Fuad fit son entrée à Bucharest, les libéraux, croyant entrer dans le jeu de la Porte, firent mine de vouloir résister ; mais Fuad les réduisit promptement, quoique non sans effusion de sang, à l’obéissance, c’est-à-dire qu’il consomma l’humiliation de la Turquie. Une telle conduite, peut-être commandée par la prudence, était de ces services pour lesquels le tsar ne manquait jamais, comme on sait, de prodiguer sous la forme la plus sonore les témoignages de sa reconnaissance. Le commencement de la fortune pécuniaire de Fuad remonte à cette époque, et il jouit dès lors auprès du tsar d’une faveur qui allait le mettre à même de rendre à la Turquie un nouveau service avant d’avoir quitté les principautés. La Porte avait eu le tort de se méprendre sur la force relative de la révolution et de ses adversaires, de laisser Constantinople devenir le rendez-vous des réfugiés de la Pologne, de la Hongrie, et, grâce à une ignorance qui lui était facile, de fermer les yeux sur leurs menées. Lorsque la révolution eut cédé sur toute la ligne, la Porte, ne se sentant pas la conscience nette et se sachant coupable au moins d’espérances qui se pouvaient aisément mal interpréter, était fort inquiète. Les empereurs d’Autriche et de Russie se contentèrent de réclamer l’extradition des réfugiés ; mais cette demande, faite de la part du tsar avec l’insolence habituelle de la diplomatie russe, était de celles auxquelles la Turquie ne pouvait consentir sans avilissement. Les choses traînaient en longueur, lorsque M. de Titoff et le prince de Radziwil apprirent, on peut deviner avec quelle