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l’administration, d’où sont sortis plusieurs des hommes les plus distingués de la Turquie. A peine âgé de dix-neuf ou vingt ans, Aali était nommé secrétaire d’Ahmed-Fethi-Pacha, ambassadeur à Vienne. Quatre ans plus tard, il accompagnait Reschid en France et en Angleterre, et demeurait à Londres en qualité de chargé d’affaires. En 1841, après un court séjour à Constantinople, il était renvoyé en Angleterre par le grand-vizir Izzet-Pacha avec le titre d’ambassadeur et maintenu dans ce poste pendant plusieurs années. On conçoit ce qu’une telle éducation politique a dû porter de fruits chez un homme intelligent, qui avait eu le bonheur de rencontrer pour initiateur un esprit tel que Reschid et l’occasion d’étudier avant trente ans les cours d’Autriche, de France, d’Angleterre et de Russie, car en quittant Vienne il avait passé par Saint-Pétersbourg et y était resté plusieurs mois. C’était un inappréciable avantage de pouvoir se familiariser sur place, et dans les circonstances les plus propres à lui en dévoiler le caractère, avec les influences qu’il devait trouver un jour en lutte à Constantinople. Le poste de Vienne, à l’époque où Aali y fut attaché, était assez ingrat. La Turquie, fort mécontente d’avoir été délaissée par une puissance dont une visible communauté d’intérêts et des raisons de voisinage devaient lui faire une alliée, l’enveloppait dans la même aversion que la Russie sans avoir pour elle la déférence qu’on ne refuse jamais à la force ; aussi ne craignait-elle pas, la voyant à la remorque de la Russie, de lui marchander les moindres concessions, par exemple la permission de faire sauter les rochers d’Orsowa pour faciliter la navigation du Danube. A Londres, à Paris, où les questions de politique générale étaient alors l’objet de discussions éclatantes, il put voir à l’œuvre les hommes qui faisaient prévaloir en Orient l’influence anglaise, et le gouvernement français lutter avec peine contre cet ascendant, fauté d’une opinion assez nationale pour lui servir d’appui. Aali dut largement profiter de ces leçons. Les Turcs, dont la jeunesse ne se disperse pas comme la nôtre en discours et en vanités, ont souvent une maturité précoce, et il est facile de reconnaître chez Aali, sous les formes contraintes qu’il a gardées, un esprit dès longtemps accoutumé à l’observation. Il faut ajouter toutefois qu’il ne s’est pas pénétré au même degré que Reschid et Fuad des idées occidentales. En se mettant au fait de la civilisation, et tout prêt qu’il se montre à en adopter ce qu’il faut, il est demeuré Turc en dépit de tout.

En 1845, lors de la chute imprévue du favori d’Abdul-Medjjd, Riza-Pacha, qui ramena Reschid au pouvoir, Aali-Bey occupait par intérim le ministère des affaires étrangères ; Schekib-Pacha, qu’il remplaçait, s’était rendu en Syrie et donnait alors au Liban une organisation qui, en assurant la paix, fermait pour quinze ans cette