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disait-on ironiquement. Il n’en est pas moins vrai qu’en exigeant ces témoignages visibles d’obéissance, en faisant sentir dans les petites choses qu’il pouvait atteindre le poids d’une volonté inflexible, il refoulait le fanatisme et était l’initiateur d’un ordre nouveau. Avoir introduit dans le royaume de l’immobilité l’idée du changement, c’est beaucoup pour qui se rend compte des difficultés que toute révolution de cette nature rencontre en Turquie, difficultés contre lesquelles la bonne volonté d’Aali et de Fuad se heurte encore aujourd’hui. Le gouvernement turc est un gouvernement absolu, le sultan est un despote, mais non pas en ce sens que sa volonté soit identique ou supérieure à la loi, ou qu’étant le représentant du prophète il jouisse comme lui d’une autorité sans limite dans l’ordre législatif. Il est l’exécuteur de la loi, rien de plus ; seulement, comme elle a tout réglé par formules très générales, la latitude laissée dans l’application ouvre un champ très vaste à l’arbitraire. Le pouvoir du sultan est donc limité par la loi, que les innovations introduites par son bon plaisir ou imposées par la nécessité ne sauraient entamer. Il rencontre une limite également insurmontable dans l’esprit de la race turque, conservatrice par tempérament, et qui répugne par intérêt aux réformes. Le peuple turc est naturellement un peuple d’ancien régime, car, après avoir vécu pendant quatre siècles aux dépens des autres, il se sent menacé par toute innovation ; il est tout simple qu’il ne s’y prête qu’à regret, et qu’il prenne en haine ceux qui s’en font les promoteurs.

Le vrai malheur de Mahmoud fut d’avoir rencontré trop tard l’homme d’état dont l’esprit supérieur eût pu suppléer les lumières qui manquaient au sien. Cet homme est Reschid-Pacha, d’illustre mémoire. Jusqu’à lui, deux partis n’avaient cessé de s’agiter autour du sultan, même dans le sein du sérail, et de partager le monde des fonctionnaires. Le parti conservateur, hostile aux réformes, avait son point d’appui dans le peuple et les ulémas, et à sa tête un vieillard opiniâtre, mais pénétrant, Pertew-Pacha, — homme entendu en affaires, ennemi acharné de la Russie, qui sut en 1828 éveiller l’enthousiasme belliqueux des Turcs par des manifestes où respire, dans un langage incompréhensible pour nous, bien qu’il n’ait que quarante ans de date, tout le vieux fanatisme musulman. Le parti radical, le seul agréable au sultan, avait pour chef Chosrew-Pacha, personnage inculte et brutal, qui, en étudiant et en flattant les faiblesses de son maître, avait pris sur lui le plus complet ascendant. Il était amiral et commandait une flotte dans la mer Egée lorsqu’il apprit le massacre des janissaires ; il n’avait pas hésité à faire jeter à l’eau, sans ordre et sans raison, tous ceux qui étaient abord de ses navires ; c’est ainsi qu’il avait conquis la faveur