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intelligemment appliquée le travail de plusieurs centaines de bras. Ces progrès sont connus des princes japonais sans qu’ils en saisissent le besoin immédiat. Leur esprit semble n’avoir qu’une pensée, la guerre, et autant dans la crainte d’être anéanti par le voisin que dans l’espérance de l’écraser un jour chacun se hâte de se pour voir auprès des Européens de fusils, de canons et d’équipemens militaires. Autrefois on achetait à la légère, coûte que coûte ; tout était bon ; les fusils démodés et les armes de rebut trouvaient au Japon un écoulement aussi facile qu’en Chine. Aujourd’hui, après les fraudes dont ils ont été victimes, les Japonais ont suffisamment d’expérience. Il s’est produit dernièrement ce fait extraordinaire, que lorsqu’en Europe, avant les batailles sanglantes de Bohême, on mettait encore en doute les qualités du fusil à aiguille prussien, les Japonais possédaient déjà plusieurs milliers de ces armes que les négocians allemands leur avaient vendues. Sans doute il leur serait possible de se passer pour leur armement du concours de l’Europe ; ils ont à d’autres époques fabriqué des fusils et fondu des canons. Les pièces prises à Simonoseki étaient d’origine japonaise, et l’on peut juger de la qualité du métal et du fini du travail par les deux spécimens aux armes du prince de Nagato qui ont été placés comme trophées dans la cour des Invalides. Nous les avons vus rayer eux-mêmes des pièces de quatre, les monter sur des affûts de campagne et fabriquer tous les objets d’armement. Aujourd’hui cependant chacun va au plus pressé et désire à tout prix être à la hauteur de son voisin, pour repousser, le cas échéant, une tentative d’agression.

L’engouement qu’ont excité chez les princes du Japon les engins de guerre s’est étendu aux navires à vapeur, quoique la spéculation n’ait fourni jusqu’ici, sous le nom de bâtimens de guerre, que des instrumens de commerce nullement propres au combat et accusant pour la plupart, par leurs formes anciennes, une méconnaissance complète des progrès de l’architecture navale. Les Japonais voient très bien cette infériorité, qui ressort pour eux d’une comparaison journalière avec les types des bâtimens de guerre français et anglais. Aussi est-il probable, lorsque l’un des princes aura réussi à se procurer un vrai navire de combat, que ses voisins se hâteront de suivre son exemple. N’est-il pas étonnant que ce peuple ait pu, du jour au lendemain et sans réclamer les leçons d’un seul Européen, utiliser la vapeur comme moyen de marche sur mer ? La conduite des feux, l’emploi des chaudières, le fonctionnement des machines, rien ne paraît l’avoir surpris, ni avoir nécessité chez lui de longues réflexions. Un pareil fait est certainement la plus grande preuve de l’intelligence de la race et de la