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l’ouverture prochaine de ces ports de commerce. Des assassinats nombreux ont, il est vrai, ensanglanté nos rapports avec le Japon, et, si les meurtres de Heusken et de Richardson ont été la conséquence, l’un d’une vengeance personnelle, l’autre d’une rencontre fortuite avec un prince de l’empire, on doit reconnaître que presque toutes les autres victimes sont tombées sous le coup du fanatisme. Faut-il s’en étonner outre mesure ? Espérons-nous du jour au lendemain changer les habitudes d’un peuple, froisser impunément des préjugés respectables, obtenir sur l’heure des résultats qu’on nous a refusés pendant plusieurs siècles en Turquie, et que nous n’atteindrons peut-être jamais au Maroc ? Sans doute dans la classe armée il se trouvera encore des hommes pour lesquels notre présence sera une insulte, ou qui, jaloux de notre influence sur le peuple, inquiets peut-être des idées nouvelles que nous propageons, jureront notre perte ; sans doute nous aurons encore à déplorer la mort de quelques malheureux qui tomberont au coin d’une route ou d’un bois, sans qu’aucun indice, aucune mesure de prudence ait pu leur faire soupçonner le danger, sans même qu’aucune preuve puisse plus tard livrer les meurtriers à la justice. Dans un pays où une partie de la population vit le sabre au côté, les vengeances personnelles et les haines de races, sont promptes à se satisfaire. Tout en plaignant le sort des victimes, nous nous garderons de rejeter sur les Japonais, même sur la noblesse, la responsabilité du crime de quelques-uns. L’intérêt chez les grands, la sympathie chez les petits, nous appellent au Japon et nous y feront pénétrer tôt ou tard.

Ouvrir le pays, voilà le but. Pour l’obtenir, n’ayons recours qu’à des moyens pacifiques, laissons de côté la violence. Les résultats de toute guerre avec une puissance européenne seraient nécessairement funestes au Japon ; très braves individuellement, connaissant la pratique des armes européennes, les soldats japonais ne tiendraient cependant pas devant une troupe d’infanterie marchant en ordre. Les privations, les campemens, les marches, feraient fondre leur armée. Au point de vue du succès, il n’y a donc aucune crainte à concevoir ; mais il est des pays dont l’aspect seul éloigne toute idée de guerre, et le Japon est de ce nombre. On arrive le cœur rempli de vengeance, et l’on hésite à la vue d’une campagne admirablement cultivée, de villages où tout respire le bien-être, de populations honnêtes, laborieuses, dont la figure est empreinte de gaîté et de sympathie. Pour atteindre une aristocratie invisible, à l’abri dans des châteaux inconnus, il faut brûler, ravager, détruire de toute manière, et devant soi l’on ne rencontre que la cordialité. Involontairement on se sent désarmé. Il faut d’ailleurs rendre justice aux divers chefs militaires qui, placés en face de