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portèrent aux poignées des armes, et les sabres sortirent du fourreau ; Le prince lui-même donna-t-il l’ordre ? On ne l’a jamais su. L’injure était pour tous, elle s’adressait aussi bien à ses inférieurs qu’à lui-même ; son consentement n’était pas nécessaire, il était acquis sous peine pour lui d’être déshonoré. Des quatre promeneurs, trois regagnèrent Yokohama plus ou moins grièvement blessés ; M. Lennox Richardson, lui, tomba pour ne plus se relever.

La mort de M. Richardson, suivant d’aussi près l’assassinat des deux sentinelles de la légation britannique, allait amener infailliblement l’intervention armée de l’Angleterre. L’attitude du colonel Neale indiquait que la solution de la question japonaise était maintenant laissée aux soins de la métropole. Pour la première fois, le coupable, l’instigateur du crime était connu. Irait-on lui demander justice directement, ou bien, continuant à se représenter un gouvernement japonais calqué sur le modèle uniforme des gouvernemens européens, persévérant d’ailleurs dans l’esprit des traités de 1858, rendrait-on responsable de l’événement le souverain de Yeddo, officiellement admis par nous comme le souverain du Japon ? Les ministres du taîcoun tâtaient le terrain ; pressés d’ailleurs vivement par des embarras intérieurs de plus en plus graves, il leur était indispensable d’entrer dans la voie des révélations. Ils allaient inaugurer cette politique à double face que le gouvernement de Yeddo n’a jamais abandonnée depuis, politique mêlée de réticences et de faiblesses, de mensonges et d’aveux, et qui laisse des doutes sur le genre de sympathie qu’elle comporte à l’égard des étrangers. L’agent du taîcoun chargé des rapports avec les ministres européens s’appelait alors Takemoto ; c’était un homme fin, d’apparence aimable, de beaucoup de calme et de moins de morgue que la plupart des gens de sa classe, en un mot un des rares Japonais capables de maintenir sans les rompre des rapports journaliers de plus en plus difficiles.

Le but des ouvertures de Takemoto paraît avoir été de nous mettre en garde contre les lonines qui rôdent autour de la ville dans de mauvais desseins. Il ne s’agit plus de quinze ou vingt assassins, ce sont des bandes nombreuses qui nous menacent ; ce, n’est plus la ivle de-quelque promeneur qui est en jeu, c’est l’existence même de la ville de Yokohama. Les révélations de Takemoto sont importantes, quoique la situation qu’elles accusent n’étonne plus personne. Le taîcoun est toujours notre ami ; mais il n’est plus l’empereur du Japon. Il n’est plus l’arbitre de notre cause, il en est seulement l’avocat. Takemoto, en nous parlant des dangers d’incendie ou de meurtre qui nous menacent, des lonines qui battent le pays avec l’intention de le débarrasser des étrangers, ne manque jamais