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avec son pavillon et son autonomie dans l’île de Décima. Rien dans les habitudes des indigènes ne se ressentait du passage des missionnaires catholiques, jadis conduits sur cette terre par François-Xavier, rien ne trahissait leur ancienne influence ; le nom de christians (chrétiens) servait à désigner une classe abjecte de la société, des misérables, rebut de leurs compatriotes. La persécution avait tout emporté, hommes et souvenirs. C’est à peine si dans la langue quelques mots rappelaient les anciennes relations d’amitié et de commerce qui avaient autrefois existé entre le Japon et le Portugal.

Les Hollandais avaient reconnu au Japon deux capitales et deux souverains. Se fiant aux apparences et raisonnant d’après le principe des gouvernemens européens, ils avaient baptisé, un peu trop à la légère, l’un de prince spirituel, l’autre de prince temporel. Les deux pouvoirs, quoique invisibles, trahissaient extérieurement des personnalités bien tranchées. L’un d’eux, celui du mikado, sans armée, sans territoire, paraissant n’avoir à sa disposition aucune force matérielle, empruntait immédiatement aux yeux d’Européens du XVIIIe siècle un caractère religieux. La puissance du taïcoun au contraire, avec sa pompe militaire, ses navires, ses soldats, semblait représenter le Japon dégagé de toute essence mystique. Si nous, sceptiques d’un autre temps, malgré les événemens qui ont déchiré peu à peu le voile mystérieux de cette organisation, nous hésitons encore à reconnaître l’autorité là où elle ne s’appuie pas exclusivement sur la force brutale, combien doivent nous paraître logiques les Hollandais, jugeant alors le Japon avec les simples données que pouvaient recueillir les insulaires de Décima ! Les Américains, venant en 1853, négligèrent donc complètement le pontife des Hollandais, et frappèrent hardiment aux portes de Yeddo, capitale du souverain temporel. A l’arrivée du commodore Parry, le pouvoir taïcounal était depuis une dizaine d’années aux mains de Yeoshi. Le pays jouissait d’une tranquillité parfaite ; nobles et gouvernement n’avaient aucun motif sérieux de dissensions. La question étrangère devint le signal de la guerre civile. Autour du taïcoun, les partis s’agitèrent pour ou contre l’admission des étrangers, et, tandis que le chef du pouvoir établi à Yeddo leur montrait des dispositions favorables, en face même des bâtimens mouillés sur la rade de Kanagawa des princes hostiles roulaient des pièces d’artillerie comme pour s’opposer à un débarquement. L’officier américain remit au taïcoun, le 1er juillet 1853, la lettre du président des États-Unis, et, fort’ de ce premier triomphe, il accorda de bonne grâce une année de réflexion aux hésitations des Japonais. La mort de Yeoshi suivit immédiatement le départ du commodore Parry. Un officier gagné par le prince d’Etzizen se chargea d’empoisonner son