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juste à laquelle il obéit et se sent obligé d’obéir? Ne me dites pas qu’il cède à un sentiment naturel; je le sais, et je sais que le moi est constitué de manière à se regarder, au moins dans ses bons momens, comme tenu d’obéir à quelque chose d’abstrait et d’intelligible qu’il n’a jamais vu, qu’il ne pense jamais rencontrer, et qu’il ne peut placer dans aucune des conditions d’existence à lui connues. On dit pourtant : L’honneur commande,... la justice veut,... la probité exige... La moralité pratique est donc fondée sur une sorte d’idéalisme qui ne suppose rien de substantiel, et cependant agit sur nous et détermine notre action. Ne pourrions-nous concevoir, simplement par hypothèse, pour toutes les idées nécessaires, un système d’idéalisme qui les comprendrait toutes comme des principes virtuels de détermination et d’action que nous atteste leur pouvoir sur nous, que rien d’ailleurs ne présente sous une forme possible aux yeux mêmes de l’esprit? Cet idéalisme n’est pas expressément, identiquement dans Platon, si souvent accusé d’idéalisme. Il tend bien à croire que les idées existent, mais aussi qu’elles sont plus que des idées. L’idéalisme plus hardi, plus rigoureux que j’indique paraît avoir été approché de plus près par les philosophes d’Alexandrie. Il y a dans Plotin divers passages qui n’ont de sens que dans la supposition d’un monde intelligible où rien n’existe que d’idéal. Cependant je crois que cette doctrine n’a guère été formellement, explicitement présentée comme je viens de le faire, et je ne la donne moi-même que comme une première hypothèse.

Une métaphysique hardie pourrait s’en emparer et s’y tenir. Soutenu par la tradition de l’école d’Alexandrie, un philosophe pourrait aller jusqu’à placer au-dessus et au sommet de l’être quelque chose qui n’aurait plus aucune des attributions de l’être, et cette loi première, le centre et la source de toutes les lois vraiment nécessaires, serait l’expression de cette nécessité suprême que Platon ne définit pas, et qu’il semble tenir pour supérieure même aux dieux; mais nous laissons à d’autres une audace dont il ne nous a pas donné l’exemple, et nous nous arrêtons à cette opinion prudente qui réduit les idées, dans le sens platonicien, aux idées nécessaires et primitives que reconnaissait Leibniz, et dont nous ne pourrions donner le dénombrement que si nous possédions une connaissance parfaite de la nature des choses. Ces idées, comme vérités absolues, nous sont attestées par le spectacle de l’univers et par la conscience de notre pensée, deux choses qui coïncident et s’unissent pour nous montrer au dehors et au dedans des lois analogues et concordantes. Or des idées ne paraissent pas au sens commun pouvoir exister ailleurs que dans une intelligence. La nôtre conclut d’elle-même qu’elle ne saurait être la seule qui