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Ces changemens eurent une prompte efficacité. Ils donnèrent à l’armée prussienne une grande rapidité de rassemblement et une cohésion qui lui manquaient, lorsqu’au moment d’entrer en campagne il y avait un travail de fusion à opérer entre la landwehr et l’armée active. Il n’y avait plus qu’une espèce de soldats. Pas de mouvemens dans les cadres, ils n’avaient qu’à se remplir, et sous l’empire de la plus sévère des disciplines le lien indissoluble entre l’officier et les nouveau-venus était promptement rétabli. On peut ranger cette réorganisation parmi les causes si nombreuses des succès de la Prusse.

Mais l’opinion du pays et la chambre des députés, qui la représente, étaient contraires à ce changement, qui imposait des charges pécuniaires- assez lourdes, et la chambre élective refusait obstinément sa sanction aux plans du roi Guillaume. Le roi et ses ministres passèrent outre ; la résistance parlementaire en devint plus vive, et le moment arriva où le conflit, qui s’aggravait chaque jour, menaçait d’aboutir à une crise révolutionnaire, s’il n’était démontré avec éclat que l’accroissement des dépenses militaires avait pour résultat définitif un accroissement de puissance et de gloire pour la nation prussienne et la patrie allemande. La question des duchés s’offrît à propos pour fournir cette démonstration. On a peine à comprendre comment l’Autriche, encore puissante dans le corps germanique, ne s’opposa point par tous les moyens possibles à la guerre contre le Danemark ; encore moins s’explique-t-on le manque de clairvoyance avec lequel elle s’engagea elle-même dans cette guerre, comme si son intérêt eût été le même que celui de la Prusse à agrandir sur la Baltique la patrie allemande, comme si c’eût été à elle de combattre pour ce principe des nationalités qui était la négation de sa propre existence. Elle en fut vite punie ; c’était contre elle que depuis quinze ans s’amassait à Berlin un orage qui n’attendait que le moment d’éclater ; elle le fit crever sur sa tête. La guerre du Danemark avait servi au gouvernement prussien à essayer ses moyens, ses forces, ses hommes. On avait fait l’expérience du fusil à aiguille. On avait essayé la nouvelle organisation militaire. Ainsi que la nouvelle arme, elle avait répondu à ce qu’on en attendait. Le prince Frédéric-Charles et nombre d’officiers dont on avait pris note avaient fait preuve de vrais talens militaires. Enfin, ce qui n’était pas de moindre importance, on avait étudié le tempérament de l’Europe et comme tâté le pouls à sa diplomatie. Personne n’avait bougé pendant que l’on assassinait et dépouillait le Danemark. L’Angleterre et la France s’étaient livrées à quelques colloques chevaleresques en faveur de ce petit état si digne de respect dans sa faiblesse. Elles avaient même témoigné quelques velléités d’intervention ; mais, au moment d’en venir à l’action, chacune avait voulu