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l’abri des effets du fusil à aiguille, les Autrichiens tenaient avec une fermeté invincible. Le mouvement en avant de l’armée du prince Frédéric-Charles était arrêté, la division du général Home, qui s’était épuisée contre le bois de Sadowa, avait même dû être ramenée en arrière, et l’inquiétude commençait à se mettre au quartier-général prussien, où la pluie qui tombait et les mouvemens du terrain dérobaient la connaissance de l’arrivée du prince royal. On prononçait déjà le mot de retraite.

Mais à ce moment même l’armée autrichienne n’était plus en mesure de tirer parti des prodiges de valeur avec lesquels elle avait repoussé les attaques du prince Frédéric-Charles. L’apparition des casques prussiens en arrière de la ligne de bataille de Benedeck vint dissiper les alarmes conçues pendant un instant autour du roi Guillaume. C’était la garde formant les premières colonnes de l’armée du prince royal, qui venait occuper presque sans coup férir le village de Chlum, centre et point culminant de la position autrichienne. Les ingénieurs de Benedeck avaient fortifié Chlum pour servir de réduit à leur armée en cas d’échec, et se trouvaient ainsi avoir travaillé au profit de l’ennemi.

De Chlum, en effet, les Prussiens prenaient à dos toute l’aile droite autrichienne, qui faisait face au prince Frédéric-Charles, et on conçoit quelle cruelle surprise ce fut pour cette brave troupe d’être ainsi, au moment où elle s’y attendait le moins, foudroyée par derrière. Par un singulier hasard, ce fut le général Benedeck lui-même et son état-major qui reçurent le premier feu. Averti que l’ennemi se montrait en arrière de sa ligne, et refusant de croire ce qui lui semblait impossible, il courut en personne pour s’assurer du fait, et fut accueilli par une fusillade qui, en laissant plus d’une selle vide dans son état-major, ne lui permit plus le doute. Reprendre Chlum était nécessaire, et pour y parvenir les Autrichiens se consumèrent en d’inutiles efforts d’héroïsme. Que faire dans un pays découvert contre une troupe armée du fusil à aiguille et postée soit dans les maisons, soit dans ces ouvrages que les ingénieurs de Benedeck avaient élevés avec une prudence si mal récompensée ? Chlum resta au pouvoir des Prussiens ; l’aile droite autrichienne, prise entre deux feux, ne put que faire sa retraite avec des pertes énormes, et la vue de ce désastre ou la nouvelle qui s’en propagea rapidement produisit dans l’une et l’autre armée son effet inévitable. Que si l’on se demande par quel accident ou quelle incurie la seconde armée prussienne put arriver ainsi sans obstacle et presque inaperçue jusqu’au cœur de l’armée autrichienne, il est impossible d’y trouver une réponse satisfaisante. On doit supposer que le général Benedeck, malgré la surprise que cette arrivée inopinée lui causa, avait prévu quelque chose de semblable, car il