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6,000 ! Honneur aux Autrichiens, qui surent faire reculer l’ennemi malgré de si grandes pertes ! Mais, comme la suite l’a prouvé, un succès aussi chèrement acheté, quand il n’est que partiel, équivaut à une défaite.

Nous avons choisi ces deux combats parce qu’étant les premiers de la guerre et livrés aux deux extrémités du front d’opérations, ils témoignèrent tout d’abord de la force respective des deux armées, et ne purent manquer d’exercer des deux côtés et en sens contraire une très grande influence morale. Un homme, dans un moment d’héroïsme ou de passion aveugle, peut une fois se battre avec succès seul contre cinq ; mais demander que cet effort soit renouvelé dans toutes les rencontres d’une campagne, c’est exiger plus que la troupe la plus brave n’a jamais pu faire. Et, pour donner au calcul un dernier degré d’exactitude, il faut ajouter ici que partout où le hasard mettait du côté des Prussiens la supériorité numérique, cette supériorité elle-même était multipliée par cinq, de telle sorte que là où les Autrichiens se trouvaient un contre deux, ils étaient de fait un contre dix.

Aujourd’hui, grâce à Dieu, cette effroyable inégalité dans les moyens de destruction n’existe plus. Toutes les armées d’Europe se sont empressées de changer leur fusil. Nous avons le Chassepot, qui est un fusil à aiguille perfectionné. Les Autrichiens, en attendant leurs nouveaux fusils, ont converti les anciens, et cette conversion doit maintenant être achevée. L’équilibre est rétabli, et la question reste désormais de savoir entre quelles mains les nouvelles armes auront le plus de puissance, ce qui est une affaire de général. Pour en revenir à 1866, il est hors de doute qu’il n’y a eu nullement méprise de l’opinion dans l’importance décisive qu’elle a tout d’abord attribuée au fusil à aiguille. Il est hors de doute que ni les combinaisons de la politique, ni la direction, ni la composition des armées, n’ont influé au même degré que cette arme sur le résultat de la campagne. S’il s’est rencontré quelques officiers autrichiens pour nier ce fait, ce ne sont pas, à coup sûr, les chefs de l’armée ; ce ne peut être que ceux qui, ayant fait à côté des Prussiens la campagne du Danemark, où les fusils à aiguille avaient fait merveille, ne surent pas reconnaître alors l’urgence qu’il y avait de changer l’armement de leur infanterie. A les entendre, il eût fallu tenir l’armée à une distance telle que la supériorité de portée du fusil autrichien eût compensé la rapidité de tir de celui des Prussiens, comme s’il était possible de régler la distance à laquelle doivent s’aborder des masses d’hommes aussi considérables que celles qu’on amène aujourd’hui sur les champs de bataille !