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si surtout il est facile de prouver qu’une lutte avec la France ne saurait leur assurer les mêmes avantages, peut-être devra-t-on reconnaître qu’on s’est bien hâté de prendre les mesures extrêmes de défense nationale dont notre pays se montre si fort ému, et dont le principal résultat jusqu’ici a été de grandir encore le succès de nos voisins.

Il n’entre pas dans notre pensée de raconter la campagne de Sadowa, ce qui a déjà été fait bien des fois et avec talent. Nous voulons seulement appeler ici l’attention sur les points caractéristiques de cette grande lutte et en tirer les conclusions à l’appui de l’opinion que nous venons d’émettre. Nous sommes conduits tout d’abord à parler du fusil à aiguille, de ce héros populaire de la campagne, dont toute la presse européenne a redit d’abord avec stupeur les effroyables merveilles, et dont peu après on s’est mis, suivant l’usage, à rabaisser l’importance. Un seul mot, et bien concluant, dira sur ce point toute notre pensée. En face d’un ennemi armé comme l’était l’infanterie autrichienne, le fusil à aiguille a multiplié par cinq les forces prussiennes. Deux exemples aussi palpables qu’ils peuvent l’être en vont donner la preuve.

Comme on le sait, la Bohême a été envahie à la fois par deux armées : celle du prince Frédéric-Charles, entrant par la Saxe, et celle du prince royal par les défilés de la Silésie. Le même jour, le 26 juin, ces deux armées ont eu leur premier engagement sérieux. Dans une affaire toute d’infanterie, le prince Frédéric-Charles emportait le village de Podol. Les morts comptés sur le champ de bataille et les blessés recueillis aux ambulances se trouvèrent entre vainqueurs et vaincus dans la proportion de un contre cinq. Sur un point de la levée du chemin de fer, le capitaine Hozier[1], à l’ouvrage duquel nous sommes redevables de tant d’intéressans détails, constata dix-neuf cadavres autrichiens pour trois prussiens.

Pendant que se livrait le combat de Podol, le même jour, à la même heure, le corps prussien du général de Bonin, appartenant à l’armée du prince royal, rencontrait à Trautenau le 10e corps de l’armée autrichienne sous les ordres du feld-maréchal lieutenant de Gablenz. Ici la fortune était autre. A la suite d’un combat très vif, les Prussiens étaient repoussés et rejetés par l’ennemi d’une journée de marche en arrière. Et cependant la redoutable supériorité du fusil à aiguille n’en éclate pas avec moins d’évidence ; la proportion reste la même entre Prussiens et Autrichiens gisant sur le champ de bataille. M. de Bonin, vaincu, accuse 1,300 hommes hors de combat, M. de Gablenz, vainqueur,

  1. Correspondant du Times à l’armée du prince Frédéric-Charles.