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contre l’Europe entière. Il a fallu l’ambition de Napoléon pour affronter cette lutte, et son génie pour la rendre douteuse ; mais nos deux invasions de 1814 et de 1815 sont bien faites pour montrer l’inévitable résultat d’une pareille entreprise, et ce n’est pas à un danger comme celui-là qu’il s’agissait pour nous de parer. Ce qui nous a troublés, ce qui nous a fait prendre l’alarme, c’est uniquement la puissance prussienne, grandie à nos yeux d’une manière si soudaine et si démesurée par la victoire de Sadowa, que nous nous sommes crus menacés par elle. Avons-nous eu raison ? Sans doute l’armée prussienne rentrait en scène après cinquante ans de paix par un éclatant triomphe, sans doute elle allait ajouter à la force morale que ce succès lui donnait les ressources matérielles des états annexés par la conquête, elle allait se grossir et se fortifier de populations militaires célèbres par leur valeur, les Hanovriens, les Hessois, les Saxons ; mais avec un peu plus de sang-froid nous aurions reconnu que, malgré tous ces accroissemens, la Prusse était encore loin du chiffre de notre population, qu’elle était loin de posséder toutes nos ressources militaires, et surtout celles de notre marine, cet auxiliaire si puissant des guerres continentales. Nous ne croyons pas nous tromper en disant qu’il y a eu chez nous, peuple comme gouvernement, un effet d’imagination vraiment regrettable au lendemain de Sadowa ; nous avons trop paru nous défier de nos forces dans une lutte éventuelle avec la Prusse. Les esprits se sont peu à peu calmés ; un examen attentif et réfléchi est plus facile aujourd’hui.

Dix-huit mois se sont écoulés depuis les événemens dont l’Allemagne a été le théâtre. Peut-être ce laps de temps est-il insuffisant pour que la vérité se fasse jour tout entière ; cependant bon nombre de témoins et d’acteurs même ont parlé et écrit sur ce qu’ils ont vu ou fait sur les champs de bataille. Les états-majors eux aussi ont commencé à publier ces relations officielles dans lesquelles, à côté des petites altérations commandées par la politique ou l’intérêt dynastique, on trouve de précieux renseignemens. Enfin le temps dans sa marche a laissé échapper quelques-uns de ces secrets de la politique qui finissent toujours par tomber dans le domaine de l’histoire.

Or si de l’étude de tous ces faits et de tous ces récits ressortait la preuve qu’indépendamment des mérites réels et incontestables auxquels les Prussiens ont dû leurs dernières victoires sur les Autrichiens, ils ont été avant tout singulièrement heureux ; s’il est vrai que les hommes, les choses, les circonstances, les aient servis d’une manière exceptionnelle, et leur aient donné des supériorités passagères qui ont disparu aujourd’hui et ne se retrouveront plus ;