Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/803

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’impétueux réveil de sa passion, Paul poursuit Mme de Clers d’embrassemens auxquels elle peut à peine se dérober.

La scène, qui termine un acte où tous les ouragans de la passion sont déchaînés et où Mlle Favart déploie un talent de premier ordre, est hardie non moins qu’émouvante. On l’accepte toutefois, parce qu’on sent l’auteur entraîné hors du cercle des convenances ordinaires par la fatalité du caractère qu’il a conçu ; Paul se débattrait en vain sous l’étreinte d’un amour arrivé à ce point où la raison humaine est près de fléchir et où la réflexion n’a plus de prise. Du même fonds de violence qui tout à l’heure le dégradait jusqu’à outrager une femme, il s’emporte, maintenant qu’il la retrouve toute à lui, jusqu’à s’oublier entièrement. Ce n’est pas tout ; lorsqu’après s’être laissée aller dans ses bras, épuisée et mourante, Léa se redresse tout à coup, lui montre l’abîme infranchissable qui les sépare ; lorsque, s’abritant derrière un mûr de glace, elle lui jure qu’elle ne sera jamais à lui, lorsqu’elle lui dit :

Fussiez-vous libre encore ou le devinssiez-vous,
Je ne vous rendrai pas, flétrie et dégradée,
Celle que pure un jour vous avez possédée,


alors nous ne voyons plus que la femme déchue qui se relève, l’effort d’une âme égarée, mais fière, qui embrasse résolument le sacrifice et qui se régénère, la noblesse d’un caractère qui, en retrouvant l’estime de soi-même avec celle de son amant, conçoit l’inébranlable ambition de reconquérir l’honneur. La situation, si près d’être choquante, se transforme, et nous prenons en admiration la hauteur d’un amour capable d’imprimer au cœur de ces élans.

Léa ne peut espérer au surplus que Paul se rende à sa résistance, ni même qu’il la comprenne. Elle n’a qu’à fuir encore ; mais nous serions étonnés de ne pas le voir lui-même faire aussi ses apprêts de départ pour la suivre. Pourquoi resterait-il ? Qu’est-ce pour lui que le mariage ? Un lien dans lequel on l’a enlacé par surprise. Qu’est-ce que sa femme ? Un obstacle perfidement jeté dans sa voie et dont il n’a désormais à s’occuper que pour l’éviter. Ici se montre ce qu’a d’ingrat le rôle de Paul Forestier, si bien soutenu d’ailleurs en plusieurs scènes par M. Delaunay. Ces caractères émus, délicats, et que j’appellerais volontiers raciniens, ont, jusque dans leur faiblesse même, un charme auquel on ne peut résister. Quelques faux pas qu’ils fassent, ils intéressent tant qu’ils sont dans la voie de leur passion, parce qu’ils y portent une suite et une profondeur merveilleuses, parce que, pour atteindre ce qu’ils convoitent, leur volonté, d’ailleurs si fragile, déploie une obstination et parfois une audace, leur esprit une subtilité de raisonnement, une éloquence de sophisme qu’on admire malgré soi ; mais se trouvent-ils aux prises avec des obligations positives, impérieuses, alors apparaissent dans tout leur