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d’une forme de gouvernement auxquelles manque la mâle respiration de la liberté ; la seconde nous montre la sagacité et la sûreté instinctives avec lesquelles la nation française, dans le candide élan de ses espérances de régénération politique, demandait la liberté de la presse. Des recueils puisés dans les cahiers des états-généraux sont un témoignage éclatant de l’unanimité de la foi française dans la liberté. Les usurpations violentes qui firent dévier le mouvement de 1789 furent toutes brutalement hostiles à la libre expression des opinions. La lueur d’une liberté possible de la presse reparut avec la restauration. Des esprits élevés, des âmes consciencieuses, consacrèrent à la législation de la presse les plus honnêtes efforts. Le plus robuste de ces ouvriers des institutions françaises, nous le répétons, nous paraît avoir été Royer-Collard. « Ce n’est qu’en fondant la liberté de la presse, disait-il, que la charte a véritablement fondé toutes les libertés et rendu la société à elle-même. La liberté de la presse doit à son tour fonder la liberté de la tribune, qui n’a pas un autre principe et une autre garantie. » On voit quelle grande idée Royer-Collard avait conçue de la presse, à laquelle il attribuait la vertu d’organiser la démocratie française. « Il est vrai, disait-il en effet dans une autre circonstance, que la liberté de la presse a le caractère et l’énergie d’une institution politique ; il est vrai que le jour où elle périra nous retournerons à la servitude. Les abus de la presse doivent être réprimés, qui est-ce qui en doute ? Mais on peut abuser aussi de la répression, et, si l’abus va jusqu’à détruire la liberté, la répression n’est que la tyrannie avec l’hypocrisie de plus… Un autre caractère sous lequel la liberté de la presse doit être envisagée dans toutes les discussions dont elle est l’objet, c’est qu’elle est une nécessité. Ce mot porte sa force avec lui ; les privilèges de la nécessité sont connus ; elle ne les tient pas des lois, et les lois ne peuvent les lui ravir. » Royer-Collard professa jusqu’à la fin de sa vie la même opinion sur le danger des systèmes de répression aggravée contre la presse. Il fit entendre sa dernière protestation, en y mêlant des expressions de confiance généreuses dans la probité publique, à propos des lois de septembre. Il repoussait surtout la nouvelle définition des attentats qui dérobaient les journaux au jury et pouvaient les amener devant la cour des pairs. Ce changement de juridiction, introduit sous le prétexte de la complicité morale, lui paraissait funeste aux intérêts de conservation et de paix sociale, qu’on croyait aveuglément couvrir d’une nouvelle défense. « Je repousse, disait-il en finissant son discours, ces inventions législatives où respire la ruse. La ruse est la sœur de la force et une autre école d’immoralité. Ayons plus de confiance dans le pays, messieurs, rendons-lui honneur. Les sentimens honnêtes y abondent ; adressons-nous à ces sentimens. Ils nous entendront, ils nous répondront. Pratiquons la franchise, la droiture, la justice exactement observée, la miséricorde judicieusement appliquée. Si c’est une révolution, le pays nous en saura gré, et la Providence bénira nos efforts. »