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la magistrature donna aux tuteurs une grande confiance. Lors donc que le président de l’église vint proposer aux états au nom de son ordre, qui avait adopté l’avis du tiers, de repousser une contribution odieuse au moyen d’un sacrifice de même valeur voté à titre de secours extraordinaire, quand il se montra disposé à décider cette question à la majorité de deux ordres contre un, les gentilshommes se soulevèrent, déclarant qu’ils ne reconnaîtraient point la légalité d’un pareil vote, cette matière étant au nombre de celles pour lesquelles le règlement de 1687 requérait impérieusement l’unanimité des trois ordres, et menaçant, s’il avait lieu, d’organiser le refus de l’impôt dans toute la province.

Le duc, n’espérant plus rien de la noblesse, se voyait pressé par la cour, où ses ennemis s’efforçaient de faire remonter jusqu’à lui la responsabilité de refus envisagés à Versailles comme des actes de rébellion. Une pareille épreuve était au-dessus des forces d’un courtisan. Aussi M. d’Aiguillon se décida-t-il à entrer dans l’assemblée pour y faire enregistrer par exprès commandement de sa majesté un ordre royal du 12 octobre portant interprétation du règlement de 1687[1]. Cet ordre décidait que toutes les résolutions, même en matière d’impôts, se prendraient désormais à la majorité de deux ordres, à moins qu’elles ne s’appliquassent à des gratifications ou à des pensions, seul cas d’exception prévu par le texte du règlement, et pour lequel l’unanimité continuerait d’être nécessaire. Aussitôt que cette décision souveraine eut été enregistrée au milieu d’un profond silence, le commandant, d’accord avec les présidens de l’église et du tiers, fit prononcer par ces deux ordres l’octroi du secours extraordinaire destiné à suppléer les deux sous par livre, puis il sortit de la salle, et la noblesse, unanime dans sa résistance, mais placée dans l’impossibilité d’en consigner l’expression sur les registres par l’interdiction faite au greffier des états de la recevoir, se précipita dans les études des notaires afin d’y libeller, sous une forme authentique, une déclaration destinée à infirmer la valeur légale de l’acte du 12 octobre. L’agitation générale des esprits eut son contre-coup sur les intérêts. La perception des impôts devint incertaine. On se sépara avec inquiétude, mais en jetant sur le parlement de Bretagne un regard de confiance. Ce grand corps devint le régulateur suprême de l’opinion, dont la direction échappait de plus en plus à la royauté. Les magistrats bretons étaient placés sous le coup d’une double excitation. Les questions chaleureusement débattues au sein des états remuaient leur patriotisme, et chaque jour leur apportait des diverses parties du

  1. Registre des états de Rennes, séance du 20 octobre 1762.