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noblesse. Il savait qu’un tempérament impressionnable, trait distinctif des races celtiques, et un dégoût profond pour l’étude approfondie des affaires, conséquence de sa vie rurale, la soumettaient à l’ascendant de quelques chefs habiles à faire vibrer les cordes généreuses ; mais il n’ignorait ni son extrême mobilité, ni la rectitude de son jugement lorsqu’elle se trouvait placée en présence d’une grande responsabilité. Il résolut d’agir conformément à l’expérience qu’il avait acquise, et accueillit par un silence glacial l’annonce des scènes qui venaient de se passer. Le lendemain, il notifia aux trois ordres, par l’organe de leurs présidens, que toutes les propositions antérieurement adressées par les commissaires du roi étaient retirées ; il leur annonça que le ministère renonçait pour toujours au système de l’abonnement en Bretagne, et qu’il était résolu à constituer une régie générale pour toutes les contributions dues au roi. Il alla jusqu’à laisser comprendre que, si les impôts n’étaient pas votés, un édit en rendrait la perception obligatoire à la diligence de l’intendant, et que des mesures seraient prises pour qu’une portion des troupes qui défendaient les frontières de la France contre l’étranger vinssent en Bretagne défendre l’intégrité de la monarchie.

Substituer l’action directe du gouvernement à celle d’agens choisis par les états, c’était une révolution administrative ; élever un conflit avec la royauté par le refus de l’impôt, c’était une révolution politique. On touchait donc à une crise dont chacun commençait à vouloir décliner pour son compte les conséquences. A l’ouverture de la séance du 16 octobre, M. de Coëtanscour, adressant les plus amers reproches au commandant, invita la noblesse à persister dans son refus, qui seul pouvait intimider les ennemis de la province et en assurer la tranquillité ; mais les dispositions avaient visiblement changé, et les paroles enflammées de l’orateur demeurèrent cette fois sans écho. Au milieu de quatre cents gentilshommes, un membre obscur se leva, et, interpellant personnellement M. de Coëtanscour, lui adressa l’apostrophe suivante : « Taisez-vous, monsieur, et ne parlez pas de la tranquillité de la province. C’est votre funeste opiniâtreté et celle de vos adhérens qui la compromettent. Nous ne sommes plus dupes des sentimens que vous étalez avec tant d’emphase ; il faut avoir enfin le courage de vous le dire, car, si nous suivions plus longtemps vos conseils, vous causeriez notre ruine[1]. » Les tuteurs ne répliquèrent pas, jugeant pour ce jour la partie perdue, ils quittèrent la salle. La noblesse se rallia en grande majorité à l’avis de l’église et du tiers. Rien n’était achevé cependant, et une question à laquelle on avait cessé de songer allait ranimer le feu mal éteint. La modification

  1. Journal du duc d’Aiguillon, t. II, p. 107.