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obstacle aux rigueurs d’un trésor auquel ses besoins interdisaient toute prévoyance comme toute pitié. A la Bretagne, qui n’acquittait qu’en murmurant les deux vingtièmes, un troisième vingtième était demandé en 1760 ; à ce nouvel impôt, on joignait un doublement de la capitation, et l’on préparait un vaste plan pour ajouter à la totalité des charges publiques une aggravation additionnelle d’un sou, bientôt après de deux sous pour livre ; cette aggravation était même immédiatement réclamée des états pour certains impôts dont cette province avait depuis plus de trente ans racheté le capital ! En voyant se dérouler ces douloureuses exigences, constamment combattues par le commandant de la province dans sa correspondance avec les ministres, mais constamment défendues par lui en présence d’une assemblée exaspérée, on comprendra comment le duc d’Aiguillon perdit tout le terrain que d’heureux débuts lui avaient fait gagner, et l’on ne s’étonnera pas de voir s’élever contre un homme placé dans une position intolérable le concert d’imprécations sous lequel a succombé sa mémoire. Bientôt chaque tenue sera une bataille.

Le 8 septembre s’ouvrirent à Nantes les états de 1760, où présidèrent aux trois ordres M. de la Muzanchère, évêque de cette ville, M. le duc de Rohan et M. de Bellabre, sénéchal. Les débuts de cette tenue laissèrent pressentir comme un souffle lointain de l’esprit nouveau. Lorsque la noblesse proposa, par exemple, de voter selon l’usage un présent de 15,000 livres pour Mme la duchesse de Rohan, qui avait accompagné à Nantes le président du second ordre, le tiers déclara qu’il ne s’associerait à ce vote qu’autant qu’un présent d’égale valeur serait offert à Mme de Bellabre, femme de l’honorable magistrat qui le présidait. Plusieurs orateurs de cet ordre firent remarquer qu’il était temps qu’au moins sous le rapport pécuniaire l’égalité s’établît entre le tiers et la noblesse, et que, lorsque celle-ci affectait à chaque tenue un fonds de 40,000 livres en pensions pour des gentilshommes, en y joignant un secours annuel pour la pauvre noblesse, le tiers ne pouvait plus accepter comme compensation sérieuse de faibles indemnités pour droit de présence, auxquelles on daignait ajouter comme par grâce quelques bourses de jetons. Les récriminations les plus amères furent échangées entre la nombreuse phalange des gentilshommes et les quarante-deux députés des villes, et, si M. de Bellabre n’avait déployé, pour terminer cette scène, autant de tact que de désintéressement, il fallait s’attendre à une lutte violente, indice trop certain des périls de l’avenir[1].

  1. Registre des états de Nantes, séance du 25 septembre 1760. — Journal manuscrit du duc d’Aiguillon, t. II, p. 28.