son ordre. Cet empire, fruit de ses lumières, augmenta considérablement lorsque les circonstances l’eurent mis à portée d’imposer encore plus à la multitude par une trompeuse apparence d’impartialité et de bonne foi, et, lorsqu’enfin un exil mérité lui eut donné la réputation d’un bon citoyen opprimé pour la cause commune, son pouvoir n’eut plus de bornes. Peu fait pour un travail opiniâtre, mais pensif et réfléchi, n’ayant d’autre ambition que celle de conserver son crédit, sur lequel il avait l’art de paraître indifférent, maître absolu de son ordre, soit qu’il voulût le déterminer à l’obéissance ou qu’il cherchât à le rendre contraire aux volontés de la cour, on l’a vu faire naître subitement des orages et les dissiper à son gré, tromper les commissaires du roi en leur persuadant que pour seconder leurs vues il fallait qu’il y parût opposé, ou les servir en devenant suspect à ses compatriotes, qu’il finissait toujours par ramener à lui tantôt par une présence d’esprit admirable, tantôt par une affectation de désintéressement qui lui faisait en un moment reprendre auprès des siens tout son crédit ébranlé. Cet homme singulier ne désirait pas le malheur de sa patrie ; il ne voulait que s’y assurer une existence distinguée, et, s’il avait pu se maintenir en faisant toujours le bien, il aurait certainement épargné à la Bretagne une partie des maux qui l’ont affligée. »
Dans la discussion pour le rachat des droits de contrôle et de timbre, qui remplit la première partie du mois de janvier 1759, M. de Kërguézec prit une attitude assez conforme à celle qui vient de lui être prêtée. Très favorable à la mesure pour laquelle il a promis son concours, on le voit cependant accueillir les objections de détail mises en avant par les adversaires de l’opération, afin de ne point laisser soupçonner l’entente établie entre lui et la cour ; il pousse même la dissimulation si loin, que le commandant de la province, pour en finir, menace de divulguer des engagemens que l’honneur prescrivait à M. de Kërguézec et à ses amis de ne pas prendre, si le courage devait leur manquer pour les tenir. Le rachat passa enfin à l’unanimité des trois ordres, et, pour y faire face, les états, dont le crédit était alors fort supérieur à celui du gouvernement, décrétèrent un emprunt de 40 millions hypothéqué sur tous leurs revenus ordinaires[1].
Tandis que la vie politique s’éveillait au bruit de ces débats, la royauté descendait sur la pente de plus en plus glissante du mépris. A chaque défaite subie par la France dans les deux mondes correspondait une vente nouvelle de privilèges là où les privilèges pouvaient rapporter quelques deniers, ou bien une nouvelle restriction des libertés locales là où ces libertés pouvaient être un
- ↑ Registre des états de Saint-Brieuc, janvier et février 1759.