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avait ordonné sur ce vaste littoral quelques travaux hâtifs de défense, et venait de terminer la réorganisation et l’armement général des gardes-côtes, lorsqu’il dut rentrer à Rennes pour la tenue des états de 1756. Demander à cette assemblée les deux vingtièmes que le roi réclamait de tous ses sujets était une stricte obligation pour le commandant de la province ; mais cette obligation le plaçait en présence de difficultés qui pouvaient sembler insurmontables. Les états en effet avaient cessé d’être seuls, et leur résistance, jusqu’alors plus impétueuse que bien concertée, allait être désormais dirigée par un grand corps auquel les lumières ne manquaient pas plus que la discipline. Le parlement de Paris, après avoir enregistré l’édit des deux vingtièmes dans un lit de justice tenu à Versailles, venait de protester contre cet enregistrement ; la plupart des parlemens du royaume avaient déjà suivi cet exemple, et celui de Bretagne se préparait à l’imiter. Si cette dernière cour se laissa devancer par les autres malgré ses dispositions bien connues, c’est qu’elle attendait l’ouverture des états, fort résolue à former avec eux une association intime de nature à placer le pouvoir dans la situation la plus critique.

Quand les commissaires du roi voulurent pousser l’assemblée à s’occuper des matières ordinaires, et surtout lorsqu’ils l’invitèrent à aborder la question des deux vingtièmes, ils la trouvèrent paralysée par une force secrète contre laquelle tous leurs efforts échouèrent durant un mois. L’action du parlement sur les états devint prépondérante lorsqu’après les vacances tous les magistrats furent réunis. Si les huit ou dix personnes en position de conduire l’assemblée provinciale ne voyaient pas sans quelque jalousie une influence qui contre-balançait la leur, cette influence était aveuglément acceptée par la petite noblesse des trois diocèses les plus rapprochés de la ville parlementaire et même par la plupart des membres du tiers-état qui appartenaient aux présidiaux. La ressource de faire voter à deux ordres contre un allait donc manquer cette fois au pouvoir, car l’église persistait seule dans sa docilité accoutumée. Le contrôleur-général, effrayé pour le sort de l’impôt, si les débats du parlement de Bretagne venaient fortifier encore la ligue générale des parlemens du royaume, avait donné des pleins pouvoirs à M. d’Aiguillon relativement à la manière et au moment d’introduire la demande du second vingtième. Le commandant jugea qu’une seule chance se présentait pour faire accepter cette aggravation soudaine d’une charge déjà si odieuse, c’était de déférer au vœu fréquemment exprimé par les états en leur concédant l’abonnement pour les deux vingtièmes à la fois. Cette concession formait la base d’une transaction assez naturelle ; mais le chiffre auquel le ministre entendait porter l’abonnement était tellement élevé qu’il paraissait fort