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furent heureux, et les épreuves ne commencèrent qu’après les succès. Il eut la bonne fortune d’ouvrir l’assemblée par un acte pour l’accomplissement duquel tous les cœurs étaient alors en parfait accord. Après la dangereuse maladie que Louis XV fit à Metz en 1744, les états avaient voté l’érection d’une statue destinée à célébrer et le rétablissement de ce prince et ses stériles victoires en Flandre. Un fonds de 60,000 livrés avait était fait pour cette œuvre, confiée au ciseau de Lemoyne. Les états de 1756 se trouvèrent appelés à l’inaugurer. Cette solennité fut l’occasion de fêtes brillantes et de faveurs nombreuses obtenues de la cour par l’intervention du commandant. L’assemblée tout entière assistait le 10 novembre à l’inauguration du monument, et l’amour si profond encore du peuple pour ce prince s’exhala dans une manifestation qui fut l’un des derniers actes de la foi monarchique en France. Un incident sérieux vint toutefois troubler la cérémonie. Après que le commandant de la province eut écarté le voile qui avait couvert jusqu’alors l’œuvre du célèbre statuaire, la noblesse s’aperçut que, dans le groupe de quatre figures dont l’ensemble constituait le monument, celle de la Bretagne avait été représentée à genoux aux pieds du monarque, posture qui souleva les murmures les plus violens. A la séance du lendemain, une proposition fut faite pour supprimer l’allocation attribuée à l’artiste qui n’avait pas craint d’insulter la province en lui attribuant une attitude humiliante. Ce ne fut pas sans peine que le duc d’Aiguillon parvint à la faire écarter ; il dut en effet employer toutes les ressources de sa rhétorique pour interpréter dans un autre sens la pensée du sculpteur et pour calmer par une leçon d’esthétique ces susceptibilités ombrageuses.

À cette difficulté d’un moment, l’affaire du vingtième en ajoutait de permanentes. Il y échappa durant la session de 1754 par des concessions considérables. Afin d’éviter une lutte avec la noblesse, irréconciliable au principe de cette imposition, il alla jusqu’à consentir à transmettre à Versailles des remontrances dont le caractère équivoque préparait pour l’avenir les plus sérieux embarras ; mais le profit de sa condescendance ne tarda pas à être perdu pour lui. C’était en effet non plus d’un seul vingtième, mais bien de deux qu’il allait être question. Le gouvernement de sérail sous lequel s’affaissait la France l’avait conduite, en une heure de caprice, d’une alliance avec la Prusse pour attaquer l’Autriche à une étroite alliance avec la cour de Vienne pour écraser Frédéric II. Déjà la guerre maritime était commencée, et la nation, dépourvue de marine et d’arsenaux, ne pouvait la soutenir qu’à l’aide de promptes et abondantes ressources. Le duc d’Aiguillon avait consacré plusieurs mois à parcourir toute l’étendue de son commandement pour préparer le réseau d’une viabilité qui existait à peine ; il