Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/716

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des droits politiques en l’absence de garantie pour la liberté individuelle.

L’année suivante, M. le duc d’Aiguillon fut appelé au poste où il allait bientôt fixer tous les regards par l’éclat d’un rôle très diversement apprécié. Ambitieux de justifier par des services la faveur qui ne pouvait manquer à sa naissance, le petit-neveu de Richelieu unissait à un esprit rempli d’initiative un caractère prudent et modéré. Né diplomate, il se vit condamné à aborder de front les obstacles que sa disposition naturelle l’aurait conduit à tourner. Nul ne semblait moins appelé à susciter les haines auxquelles des circonstances fatales condamnèrent sa vie. Ce brillant seigneur de trente-quatre ans, animé du double désir de faire beaucoup et de ne blesser personne, aurait été un excellent gouverneur pour cette grande province, à laquelle le rattachait le nom de Mlle de Plélo, sa femme, s’il n’y était arrivé en présence de problèmes non résolus, et s’il n’avait représenté par l’ensemble de ses relations un ordre d’idées antipathique à celui qui prévalait encore dans un pays libre, toujours en garde contre la cour. Héritier du grand cardinal, neveu de M. de La Vrillière, ministre de la maison du roi, le duc d’Aiguillon trouvait dans ses traditions de famille le despotisme sous-toutes les formes, depuis l’échafaud jusqu’à la Bastille. Rien dans l’énervante atmosphère de Choisy ne l’avait préparé à cette fière revendication de droits antérieurs à ceux du monarque, à cette fidélité bourrue qui donnait son sang en refusant ses subsides. La manière de sentir qui au milieu du XVIIIe siècle dominait en Bretagne était une sorte de phénomène dans un temps où la plus haute aristocratie du royaume s’inclinait devant Mme Du Barry comme devant un principe monarchique, parce qu’elle représentait le choix du roi. Les influences qui présidèrent à la vie du duc d’Aiguillon ne purent manquer de l’engager dans ce triste tourbillon de la faveur et du vice, et la carrière qu’il avait rêvée utile et grande vint s’achever, après une lutte contre toute la magistrature ameutée, dans le boudoir d’une courtisane et sur la sellette de la cour des pairs. Nous allons voir les événemens, plus forts que les meilleures intentions, pousser dans une voie très différente de celle où il aspirait à marcher l’homme qui arrivait en Bretagne rêvant la gloire et la popularité.

Le duc d’Aiguillon attachait le plus grand prix à décliner toute solidarité avec l’administration précédente ; aussi son premier acte fut-il de demander à Louis XV la liberté des exilés, qui rentrèrent en Bretagne aux applaudissemens de toute la province. Appelé à diriger les états de 1754, il étudia les institutions du pays, mais sans parvenir à en comprendre le génie, tant le milieu où il allait vivre était différent de celui qu’il venait de quitter. Ses débuts