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la réflexion venait pour eux, répudier toutes les formes sensibles, toutes les apparences humaines, toutes les attributions allégoriques que la crédulité des peuples avait dès longtemps assignées à leurs dieux : c’était la première enveloppe de la foi populaire qu’ils rejetaient en s’éclairant; mais, délivrés de ces croyances puériles, ils n’en restaient pas moins habitués à concevoir au-dessus de nos têtes des existences fort différentes de la nôtre, des essences de forme inconnue, démons, génies, éons, divins par l’intelligence et l’immortalité, — sorte de polythéisme spirituel, abstrait, qui persistait dans leur créance au moins comme une possibilité. L’esprit de Socrate, l’esprit de Platon, n’étaient pas préparés à se révolter comme le nôtre au paradoxe d’une collection d’essences invisibles et éternelles qui, si elles n’étaient des dieux, étaient cependant comme des dieux. En dehors même de l’antiquité païenne, plus d’un exemple a prouvé la facilité avec laquelle l’esprit humain croit gratuitement à des êtres d’une nature dont il ne peut absolument se rendre compte, et dont l’existence ne lui est signifiée par aucune preuve suffisante pour la garantir.

Allons maintenant plus loin, et recherchons si ce polythéisme en quelque sorte natal des enfans de la race hellénique ne pouvait affecter jusqu’à ce monothéisme acquis que découvrait et enseignait la maturité de leurs sages. Le ciel me préserve de disputer à l’antiquité philosophique l’honneur d’avoir cru en un Dieu suprême. La raison humaine aurait-elle donc été en défaut, elle qui, selon saint Paul et saint Thomas, a tout ce qu’il faut pour arriver d’elle-même à Dieu? Non, cela est impossible. La croyance populaire elle-même, au moins la littérature commune donnait par momens au Jupiter de la fable des attributions et des épithètes qui ne convenaient qu’à un dieu souverain. A plus forte raison, le génie des philosophes devait-il s’élever à la conception d’un être ou d’une raison suprême, et plus d’une citation viendrait aisément en donner de nobles preuves. A quelque hauteur cependant que monte leur langage en parlant du premier principe, le nom qu’ils lui donnent n’en fait souvent que le premier des dieux. Il est unique celui dont l’observation de la nature ou l’étude de la raison leur révèle la nécessaire existence; il ne partage le rôle qu’ils lui réservent avec personne; mais ils ne disent pas invariablement qu’il n’y ait pas d’autres dieux. Des êtres différens, métaphysiquement inférieurs, divins cependant par l’immortalité, l’intelligence, la puissance, ne leur répugnent pas. Ils ne savent guère, ils expliquent rarement ce que sont ou ce que font ces êtres exceptionnels; mais leur raison est si bien faite à en admettre de semblables qu’elle demeure sans objection contre leur existence et leur action, elle proclame même quelquefois l’une et l’autre. Dans le Phédon, dans cette confession