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l’oblige en outre à donner des gages matériels de l’empire qu’il devra désormais exercer sur lui-même. Aux yeux des Anglais, la meilleure des garanties est l’argent ; aussi est-ce en versant pour un temps déterminé une somme en rapport avec ses moyens d’existence que le défendeur s’engage à observer, bon gré, mal gré, cette trêve de Dieu. La paix de la reine, qui avait un instant failli être troublée dans la personne de l’un de ses sujets, se trouve alors rétablie. En vertu du même principe ou, si l’on veut, de la même fiction, les juges de paix ont pour charge de réprimer toutes les violences, les querelles et les discordes de nature à compromettre la tranquillité publique. Dans certaines limites, ils administrent la justice, et toutes leurs fonctions sont entièrement gratuites. A plus d’un égard, cette institution est excellente ; comment donc se fait-il qu’un cri de réprobation presque universelle se soit élevé dans ces derniers temps en Angleterre contre ce qu’on appelle unpaid magistrature (la magistrature non payée) ? Quels sont les griefs sur lesquels s’appuie la censure de l’opinion publique ? On reproche surtout aux justices of peace de n’être point des légistes et d’obéir trop souvent dans leurs verdicts à certains préjugés de castes. Plus d’un fait récent est venu, il faut bien le dire, corroborer une telle accusation. Les journaux anglais ont dénoncé à diverses reprises et avec une libre énergie les sots jugemens rendus par quelques Brid’oisons d’outre-mer. N’a-t-on pas vu de pauvres diables condamnés par les cours de petty sessions à l’emprisonnement et au dur travail (hard labour) pour avoir passé la nuit en plein air sur une meule de foin, pour avoir refusé d’aller à l’église ou pour s’être fait raser le dimanche par le barbier du village ? C’est surtout contre les braconniers que les juges de paix, pour la plupart gentilshommes chasseurs, épuisent follement toutes les rigueurs de la loi. Un enfant de neuf ans avait été enfermé par l’un d’eux dans la prison de Maidstone, où, suivant le verdict du juge, il devait passer trois mois, lorsqu’une main charitable et inconnue paya pour le délivrer une amende de 5 liv. sterl. 11 sh. Son crime était d’avoir cueilli de l’herbe pour un lapin favori et d’avoir ainsi fait tort aux lapins sauvages du squire. Certes de tels abus étaient bien de nature à soulever l’indignation publique contre les justices of peace ; je ne m’étonne donc nullement que le vœu de l’ex-chancelier, lord Westbury, fût de les abolir et de les remplacer par des magistrats salariés. Il faudrait pour cela un acte du parlement, et une telle mesure rencontrerait plus d’un genre d’obstacles. Qu’il suffise d’en indiquer un : cette magistrature non payée exerce une très grande influence dans les campagnes, où elle est souvent à même de faire et de défaire les candidatures pour la chambre des communes. On se tromperait d’ailleurs beaucoup, si l’on se formait