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l’inscription gravée dans les fondemens de l’édifice, le cuisinier est un personnage très important, et son art un élément de succès pour un inn of court[1]. A l’étage inférieur s’ouvre une sorte de crypte dont le plafond voûté s’appuie sur des piliers massifs. Là s’étalent de formidables tournebroches et tous les massifs ustensiles de la cuisine anglaise. Là aussi trône le chef dans les insignes de sa dignité. Qui n’accuse à sa façon la nature humaine ? Le cuisinier de Lincoln’s Inn se plaint de la diversité des goûts et de la difficulté qu’il éprouve à satisfaire les nombreux hôtes qui dînent tous les jours dans la grande salle. « L’appétit des légistes est si fantasque ! » ajoutait-il devant moi avec un air de mélancolie.

Gray’s Inn, la quatrième des sociétés d’avocats, tire son nom des lords Gray de Wilton, dont elle occupe la résidence seigneuriale ou du moins les terrains sur lesquels s’élevait leur manoir de Portpoole. Les moines d’East Sheen, dans le Surrey, auxquels ce domaine avait été cédé, le louèrent à des hommes de loi, et plus tard Henri VIII, après avoir saisi les biens des couvens, renouvela le bail au nom de la couronne. Comme les étudians du Temple et de Lincoln’s Inn, ceux de Gray’s Inn étaient célèbres pour leurs festins et leurs divertissemens. Le nom de Bacon figure parmi les acteurs d’une pièce qui fut jouée devant le roi. La grande salle, construite sous le règne de Marie Tudor et achevée en 1560, se distingue par la richesse des boiseries et des vitraux blasonnés, aux armes de Burleigh, de lord Verulam, de Nicolas Bacon, de Jenkins et de plusieurs autres jurisconsultes fameux. Je me souviens d’avoir vu, il y a quelques années, errer un noble cerf dans les deux grandes cours plantées d’arbres qu’encadrent les maisons des légistes. Cet animal appartenait, dit-on, à quelqu’un du voisinage, et semblait ne pas trop regretter sur ces pavés arides et silencieux les tapis verts de la forêt. Les bruits d’un des quartiers les plus populeux de la grande ville viennent mourir au seuil de l’enceinte sacrée de la loi. Les quatre inns of court se trouvent situés entre la Cité d’une part et Westminster de l’autre. Les avantages qui résultent pour les avocats de ce double voisinage paraissent bien ne pas avoir été étrangers au choix des anciens fondateurs. La Cité fournit la matière des procès, et le palais de Westminster abrite les hautes cours de justice, où se plaident la plupart des causes civiles. Londres, s’étant formé sans l’intervention de l’état, est un des endroits du monde où l’on peut le mieux étudier la croissance naturelle des villes, l’agglomération logique des affaires et les points d’attache qui s’établissent instinctivement entre les besoins d’une société.

Quelles qu’en soient l’origine et les traditions, chacun des inns

  1. Ipsa nova exorior nobilitanda coquo.