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Le Temple, comme son nom l’indique, était autrefois un palais des templiers élevé par eux sur les bords de la Tamise. Cet ordre religieux et militaire fut aboli de l’autre côté du détroit en 1312, et les biens qui lui appartenaient passèrent sous le règne d’Edouard II entre les mains des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. De l’ancien Temple il ne reste plus rien que le nom et la curieuse église qui sert aujourd’hui de chapelle au culte protestant. Les légistes ont pris la place des chevaliers, cedant arma togœ ; mais quand et comment s’est accomplie cette transformation ? Vers le XIIIe siècle, une grande lutte s’engagea en Angleterre entre le droit canon et ce que les Anglais appellent la loi municipale ou commune, commun law[1]. Les évêques défendirent alors aux hommes d’église de plaider comme avocats devant les cours de justice temporelles, qu’on nommait ainsi par opposition aux cours ecclésiastiques. Les jurisconsultes du clergé se retirèrent à la suite de ces débats dans les universités d’Oxford et de Cambridge. Le champ du barreau se trouvait ainsi ouvert aux laïques, car, d’après la promesse faite par un des articles de la magna charta, il venait de se fonder à Londres une cour des plaids communs (court of common pleas). C’est alors que les avocats ou professeurs de droit anglais établirent entre eux des sociétés volontaires pour protéger leurs intérêts. Vers la fin du règne d’Edouard III, ces sociétés, au nombre de quatre, se divisèrent en autant d’inns ou de collèges. Deux d’entre elles se fixèrent dans le Temple, dont elles louèrent d’abord le terrain aux hospitaliers de Saint-Jean, successeurs des templiers, et plus tard à la couronne ; enfin elles acquirent ces lieux en toute propriété vers 1673. L’une, connue sous le nom d’inner Temple, et l’autre sous celui de Middle Temple, ne tardèrent point à briller d’un grand éclat. S’il faut en croire une charte du temps de Jacques Ier, elles étaient alors les plus fameuses écoles de toute l’Europe pour l’enseignement du droit. Les étudians étaient pour la plupart des jeunes gens appartenant à l’aristocratie. Aussi, non contens de suivre des cours publics et d’assister à des conférences sur les points obscurs de la loi, s’exerçaient-ils entre eux à la danse, au chant et à la musique. Ils avaient en outre des jours de réjouissance connus sous le nom de feriol days, où ils jouaient eux-mêmes des masques et des parades. Dans le hall du

  1. Pour bien saisir le sens de cette dispute, il faut savoir que les rois normands avaient voulu introduire le droit romain et le droit canonique dans les cours de justice. En dépit de leurs efforts, les lois de l’ancienne Rome ne purent jamais s’acclimater comme système sur le sol de l’Angleterre. Quelques branches seulement de cette jurisprudence qui étaient en harmonie avec le caractère anglo-saxon s’enracinèrent à l’aide du temps, et finirent par se confondre dans la loi commune, common law. Quant au droit canonique, il n’est plus en vigueur que dans un très petit nombre de tribunaux appelés à juger des questions relatives au clergé.