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et de facultés associées dans l’unité de la conscience, et qui déterminent nos volontés en leur donnant leurs règles et leurs buts. Seulement ces distinctions ne s’appliquent que par comparaison à la Divinité, que les théodicées ordinaires s’accordent à regarder comme l’identité de la vérité et de la connaissance, de l’intelligence et de l’être, du vouloir et du faire. Tandis que les lois de notre esprit sont indépendantes de lui, les lois de l’esprit divin sont sa propre nature.

C’est ainsi que des interprètes d’une grande autorité, à la tête desquels était Cousin, ont expliqué Platon. Je suis prêt à convenir que cette explication est la vraie, au moins quant à la doctrine qui lui sert de fondement, qu’elle est en tout cas la meilleure, la plus plausible. Elle cadre avec des opinions à peu près communes à tous les philosophes. Quiconque ne rejette pas le nom de la Divinité, depuis l’idéaliste qui, tel que M. Vacherot, veut que les idées soient tout Dieu ou que Dieu ne soit qu’un idéal, jusqu’au matérialiste qui reconnaît une première cause, comme Cabanis et Broussais, peut sans trop de scrupule admettre avec Platon que les lois à nous connues de la nature des choses ne peuvent être cherchées en dehors de Dieu; mais cette interprétation est-elle la vraie, celle du vrai Platon? On en dispute. Ce n’est pas le seul point qu’il ait laissé dans l’ombre, et sans cesse il oblige ceux qui lui prêtent au fond la sévérité de leur propre logique à se rejeter, quand elle paraît faire défaut, sur les caprices ou les licences du talent et de l’imagination. En général, pour sauver le philosophe, ils exaltent l’artiste, sans voir qu’ils déprécient l’un et l’autre. L’art en philosophie est de donner à la vérité, sans l’altérer, les formes du beau. La métaphore et l’allégorie ne sont pas des beautés en philosophie, et l’on sait que nous n’accordons pas qu’un écrivain qui n’a pas de supérieur, parlant une langue qui n’a pas d’égale, n’eût pas su rendre avec une exactitude scientifique ce qu’il aurait conçu avec une certitude démonstrative. Je crois plutôt à des doutes au fond de ce grand esprit en présence des hauteurs de la métaphysique qu’aux puérils artifices d’un rhéteur qui aurait défiguré sa pensée pour l’embellir et sacrifié la raison à des effets de style. Je ne puis voir dans Platon un prédécesseur de Fontenelle, occupé de plaire avant tout et dominé par la crainte de paraître trop sérieux. Ces faiblesses seraient indignes d’un disciple de Socrate; mais le disciple de Socrate pouvait se défier de tout entraînement systématique. Il pouvait exprimer avec indécision des vérités qu’il ne faisait qu’entrevoir et ne pas affirmer de simples hypothèses. Quand on avait tant douté des autres, on pouvait douter de soi. Ne nous étonnons donc pas qu’il y ait des vides et des nuages dans sa doctrine, et n’imitons pas les éditeurs et les traducteurs des anciens, qui ne souffrent pas que leur