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La visiteuse trottine à petits pas dans les rues, suivie de sa domestique, une enfant ou une vieille femme, qui porte le parapluie et le mouchoir, dans lequel est renfermé quelque cadeau. Les Japonais la respectent ; à part peut-être quelques coulies, la lie du peuple, qui lui jetteront à la tête une épithète grossière, personne ne lui adressera une parole malsonnante. Ce peuple libertin a je ne sais quelle pudeur naturelle ou imposée à l’égard des passans. Il a son quartier et ses heures de liberté ; quand il se retrouve dans les rues bourgeoises, il reprend des allures respectueuses. La visiteuse arrivée, chacun lui a fait place dans le groupe ; elle a scrupuleusement accompli envers ses voisines le long chapitre des génuflexions et des complimens. On lui a offert la pipe et le thé. La conversation est devenue familière ; on s’entretient des nouvelles qui courent dans le public, on s’inspecte, on s’épluche un peu dans les détails de la toilette. Ce sont les commères de tous les pays, celles de La Fontaine et celles de Shakspeare. La bonne est allée chercher le dîner dans les boutiques ambulantes. Il n’y a pas d’heure pour cela, c’est une politesse due par l’hôte. La théière est en permanence sur le brasero, et la boîte blanche cerclée de cuivre que l’on découvre dans un coin de l’appartement est remplie de beau riz japonais. Voilà le pain et la boisson. On apporte de l’extérieur sur des plateaux en laque du poisson et des légumes entourés de feuilles odoriférantes et assaisonnés d’herbes de toute espèce, des oublies, du pain de Savoie, des pommes ou du raisin.

Toute fête cependant est sous la protection d’un saint, et, en faisant les frais d’une toilette neuve, la femme a bien songé qu’elle irait se montrer dans les environs des pagodes. N’a-t-elle pas d’ailleurs quelque petite chose à demander, et l’occasion peut-elle être mieux choisie ? Le cérémonial de la prière est des plus simples, on pourrait même lui reprocher un certain manque de gravité. Les belles toilettes, les rires et les plaisanteries doivent cadrer mal avec les sentimens de piété et de vénération. Avant d’entrer dans l’allée qui mène à la pagode, on se lave les mains à une petite fontaine ; comme chez tous les peuples de l’Orient, la propreté du corps doit marcher de front avec la pureté de l’âme. La pagode est fermée : chacun défile devant le sanctuaire, saisit là corde qui pend du toit et la choque contre un gong. Le dieu est prévenu, il écoute ; on joint les mains, on lui confie sa prière, et en se levant on la lui jette par écrit à travers les barreaux de la porte, en ayant soin, pour qu’il ne l’oublie pas, d’en envelopper une petite pièce de monnaie.

Dans un intérieur bourgeois, ce qui frappe le plus après la politesse, c’est la simplicité et la modestie des habitans. Toute la vie japonaise se résume en ces mots : le manque de besoins. Dans les basses classes, on ne trouve ni misère ni envie. L’homme ne paraît