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suite qu’elle n’est pas nouvelle. Elle existait déjà dans l’ancien droit avec la même force, la même étendue, presque dans les mêmes termes : d’où je conclus que, si un peu de sagesse a suffi autrefois pour dénouer le problème, la même vertu peut encore aujourd’hui nous en fournir la solution.

S’imagine-t-on en effet que dans l’ancien droit ces annexions de plusieurs peuples en un seul étaient des faits rares, imprévus, impossibles, ou opérés seulement par accident et par violence ? Aucune erreur ne serait plus grande. Le droit ancien avait, comme le droit nouveau, son mode d’annexion légal et juridique découlant de son principe à lui, qui était, comme je l’ai dit et répété, l’application à la politique des règles de la propriété civile. Or quoi de plus habituel que de voir deux propriétés privées, jusque-là séparées, se réunir à un certain jour entre les mêmes mains ? Il y a pour cela dans toutes les lois du monde des modes tout préparés : ce sont les mariages et les héritages. Les propriétés s’unissent par la même voie qu’elles se transmettent, par les alliances et l’hérédité, quand le même titulaire arrive par deux lignes différentes à la succession de deux patrimoines, ce qui se voit familièrement tous les jours. Ainsi en était-il autrefois des couronnes : rien de plus ordinaire que de les voir, par des voies directes ou collatérales, converger sur une même tête. Sans les exclusions de la loi salique, toutes particulières à nos aïeux, le même souverain commandait, dès le XIVe siècle, à la France et à l’Angleterre, et l’histoire moderne s’ouvre par l’annexion la plus gigantesque dont le monde ait gardé le souvenir, fruit d’une double hérédité de cette nature. Le fils de Jeanne la Folle et de Philippe le Beau, héritier des rois catholiques par sa mère et du saint-empire par son père, réunit sous un même sceptre les trois quarts du monde connu. L’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, l’Amérique même à peine découverte, se trouvent tout d’un coup devenues des instrumens au service d’un seul génie. Certes il n’y eut jamais pareil bouleversement, pareil anéantissement de tout équilibre. Devant ce fantôme de monarchie universelle, exhumé du sépulcre des césars. la chrétienté se tut épouvantée. Étouffée par son poids, enserrée par son immensité, elle se sentit privée d’air et de mouvement. Tout espoir de lutte contre un tel colosse parut impossible, toute prétention à l’égalité ridicule, et cet exemple, dont le souvenir écrase encore l’imagination, suffit, ce semble, à démontrer que, si le nouveau droit peut porter quelques conséquences extrêmes difficiles à accorder avec un système d’équilibre, l’ancien en enfantait de bien autrement terribles qui, abandonnées à elles-mêmes, auraient dû détruire jusqu’à l’idée d’une telle balance.

Eh bien ! c’est justement le contraire qui est advenu. C’est l’excès