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système d’équilibre, c’est renoncer purement et simplement en son nom à la seule protection que dans les relations internationales la justice ait su se ménager contre la force. Libre à lui de prononcer ce divorce ; mais qu’il ne s’étonne pas alors du trouble qui accompagne ses premiers pas dans le monde. Quand on supprime le mur qui seul soutenait un terrain mobile, si l’éboulement suit, faut-il en aller chercher bien loin la cause ? Ces maux ne sont que le prélude et un faible essai de ceux qui vont se développer à mesure que, se développant lui-même, il pourra mener plus complètement à fin cette opération, et s’en aller de capitale en capitale et de frontière en frontière mettre en liberté les ambitions et les convoitises que contenait le respect conventionnel de l’équilibre. Qu’il s’attende à voir partout la force brutale reprendre pied derrière lui, devancée par le bruit des armes et suivie par les gémissemens de la conquête. Ce n’est pas nous, ce sont ses panégyristes exclusifs qui ont condamné leur idole à ne pouvoir faire un pas sans ce triste cortège.

La question est maintenant de savoir si cette condamnation est nécessaire, si la contradiction qu’on dénonce entre la souveraineté populaire et tout système d’équilibre existe réellement avec la portée qu’on lui prête, si le régime nouveau manquerait à sa dignité en conservant sur ce point quelque déférence pour la tradition de l’ancien. Je n’ai pas qualité peut-être pour endoctriner sur le droit nouveau, mais jusqu’à plus ample informé je me refuse à reconnaître cette incompatibilité prétendue. A mon sens, droit nouveau et droit ancien, 89 et 88, ne font ici rien à l’affaire. L’équilibre demande, il est vrai, à tous deux une certaine mesure de sacrifice, mais la même, ni plus ni moins. Si l’un a pu s’y prêter sans déroger, l’autre n’abdique point en s’y conformant à son tour. Les peuples peuvent y consentir comme faisaient les rois, par la même raison de prudence et sans un plus grand oubli de leur dignité.

Quelques mots sur ce point achèveront ce long examen. Il importe d’abord de bien définir en quoi consiste réellement la contradiction alléguée et quel genre de restriction le respect de l’équilibre européen imposerait, s’il était pratiqué, à l’omnipotence de la souveraineté populaire. Très évidemment il n’en peut sortir aucune conséquence qui gêne à aucun degré le droit d’un peuple à modifier à son gré dans son intérieur, par tel mode légal ou illégal qui lui convient, la nature et la forme de son gouvernement. Un peuple peut autant de fois qu’il lui semble bon passer de la république à la monarchie et de la monarchie tempérée à la monarchie absolue, changer la personne, le nom, la prérogative du chef qui lui commande, et opérer cette substitution soit par la violence, les insurrections ou les coups d’état, ou le mode plus insinuant du suffrage