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jugemens de Dieu du moyen âge, avant d’ouvrir l’arène, s’assuraient qu’aucun des combattans n’y paraîtrait avec un avantage inégal d’armes ou de terrain.

Tel est le régime vers lequel l’Europe a tendu et comme gravité à travers beaucoup d’oscillations. On pourrait l’appeler la charte fédérative de la société européenne. Sans juger cette ingénieuse combinaison avec plus d’enthousiasme qu’elle ne mérite, on ne peut nier que nos pères lui aient dû les seuls jours de repos qu’ils aient goûtés dans leur longue histoire. L’issue de toutes les luttes armées demeurant toujours incertaine, grâce à l’égalité des forces en présence, la guerre n’a plus été un jeu pour personne ; elle est devenue une extrémité rare et regrettable où des fous seuls ont ou trouver plaisir à se précipiter témérairement. C’est aussi dans cette sage conception politique que la justice et la foi des traités ont trouvé la seule garantie que comportait la rudesse de la condition naturelle des peuples. Personne n’étant assez puissant pour être sûr de pouvoir impunément suivre ses fantaisies ni satisfaire ses convoitises, chacun a été porté au respect du droit d’autrui par cette crainte salutaire dont le frein seul peut maintenir la fragile humanité dans la ligne du devoir. Si ce n’a pas été là un régime de justice absolue, c’en a été au moins l’ombre et le reflet. Très insuffisans d’ailleurs quand on les juge en eux-mêmes, ces résultats gagnent à être comparés avec les siècles de l’histoire et les contrées du monde qui n’ont pas joui des mêmes bienfaits. Si l’Europe n’est pas, comme est encore aujourd’hui l’Afrique, un continent parcouru par des peuplades sauvages qui s’entre-tuent ; si elle a cessé d’être comme l’Asie le jouet de vingt conquérans passant à la file et se poussant l’un devant l’autre pour fonder sur le sable des dynasties éphémères ; si les temps modernes n’ont pas connu, comme l’ancienne Rome, ces césars dont le cerveau fléchissait sous le poids de l’omnipotence, et dont la soif et l’appétit insatiables n’étaient pas assouvis par le sang et les trésors du genre humain tout entier ; si nous vivons au milieu de nations libres ou d’antiques royautés ; si l’ambition des grands a connu parmi nous quelque limite et la sécurité des faibles quelque défense, en un mot s’il y a pour nous un autre droit international que le droit du plus fort, — plus d’une cause assurément a concouru, avec la bonté divine, à nous assurer tous ces biens ; mais aucun historien ne me taxera d’exagération, si j’affirme que, parmi ces moyens de salut dont il faut rendre grâce à la Providence, le système de l’équilibre européen tient sa place avec honneur.

C’est pourtant ce système entier, — produit réfléchi de l’expérience, auxiliaire délicat de la civilisation moderne et fruit de sa