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qui ne laisse debout aucun préjugé, et poursuit impitoyablement jusqu’aux dernières illusions que l’ignorance primitive a laissées à l’esprit humain. Au contraire ils célèbrent avec chaleur et Socrate et Platon pour avoir fait une si bonne police de l’erreur. Ils les placent au premier rang des libérateurs de la raison. Sans aucun doute, c’est un grand service que d’avoir donné des modèles achevés de l’art de discuter les matières philosophiques, de ruiner les fictions et les hypothèses, et de délivrer le vrai de tout ce qui l’obscurcit ou le défigure, dût-on ne le jamais montrer sous sa véritable forme ; mais, si Platon n’eût fait que cela, il n’y aurait réellement pas de platonisme. Si sa dialectique n’était propre qu’à éclaircir et à réfuter, il n’y aurait pas, à vrai dire, de dialectique platonicienne. Oui, cette dialectique toute critique est bien dans Platon, mais elle n’y est pas seule ; il y en a une autre, ou plutôt il a considéré la dialectique sous d’autres rapports : il lui a trouvé d’autres vertus, un autre emploi ; il y a vu un moyen non-seulement d’analyser nos prétendues connaissances, mais d’atteindre et d’établir les véritables. Ce sont ces rapports, ces vertus, cet emploi de la méthode dialectique, comme Platon l’appelle en propres termes, que M. Grote me paraît avoir un peu négligés. Par momens, il semble ignorer qu’elle existe. Il la fallait connaître pourtant, dût-il la rejeter après l’avoir exposée. Il la regarderait comme une chimère en elle-même ou comme une fiction des commentateurs, qu’il aurait encore dû lui faire une grande place quand il traite des interprétations du platonisme. Celle-là a été maintes fois développée parmi nous ; mais M. Grote sait tout, excepté ce qu’on a pensé en France, on le dirait du moins. A peine nomme-t-il M. Cousin ; je doute qu’il cite M. Janet, dont les travaux sur la dialectique de Platon en contiennent l’analyse la plus exacte et la plus complète. D’autres omissions pourraient être indiquées. Est-ce prévention, négligence, affectation ? Je ne saurais le dire ; mais il en résulte des lacunes qui diminuent un peu l’autorité d’un livre d’ailleurs si remarquable.

Qu’est-ce que cette dialectique vraiment platonicienne ? qu’ajoute-t-elle à celle qu’on dit plus propre à discuter qu’à conclure ? Il est d’autant plus nécessaire d’en dire un mot que la dialectique dans Platon se lie à la théorie des idées, dont on ne peut se dispenser de parler.


III.

Pour peu que l’on raisonne avec quelque suite sur une question donnée, on arrivera nécessairement à une proposition d’une certaine évidence, et qui sera tenue pour vraie, si l’on croit avoir bien rai-