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et rétabli, moyennant finances et à deniers comptans, sur leur trône mutilé le pape, les rois de Naples et de Sardaigne, que, profitant de sa première absence, le directoire s’empresse de jeter au vent tous les traités souscrits par son général, et, étendant sa main rapace sur les souverains qu’il avait épargnés, envoie Ferdinand en exil et Pie VI mourir en prison. Bonaparte revient à la vérité, et ne tarde pas à concentrer dans sa personne toute la souveraineté populaire ; mais la foi publique ne gagne pas beaucoup au change, car aucun héros ne se piqua d’en être moins esclave. L’histoire du premier empire n’est qu’une suite de traités éphémères, dictés par la force et déjà violés dans la pensée du vainqueur au moment où la plume les traçait sur le papier. Toute la morale que Napoléon semblait avoir tirée de la philosophie politique de 1789, c’est que lui seul, en qualité d’élu du suffrage universel, était investi d’un titre de commandement légitime. Dès lors tous les états autres que la France, ayant cessé d’appartenir à leurs rois et ne s’appartenant pas encore à eux-mêmes, étaient à ses yeux comme des successions en carence abandonnées au premier, au plus habile et surtout au plus fort occupant. La suppression du droit monarchique aboutissait ainsi pour lui, non à la reconnaissance d’un droit plus étendu et plus sacré, mais à l’oubli en sûreté de conscience et à la négation commode de toute espèce de droit. Aussi depuis l’invasion barbare, depuis Genséric et Attila, jamais ambition plus effrénée ne se donna carrière plus à l’aise, jamais le monde ne fut livré à un tel jeu de force et de hasard, à un tel mélange de loterie et de brigandage, à un tel vol de provinces, à un tel pillage de couronnes. Les plus maltraités dans cette mêlée ce furent, comme d’habitude, les petits, les faibles, c’est-à-dire les peuples eux-mêmes au nom desquels s’était faite la rénovation du droit public. Tout ce qu’ils gagnèrent à la souveraineté qui leur était promise, ce fut de se voir quinze années durant vendus à l’encan, ou traînés à la boucherie comme des troupeaux, ou joués comme des dés sur un tapis vert.

Une réaction contre de tels excès était inévitable. Elle s’opéra tout naturellement quand les fautes du premier empire eurent amené sa chute. Un regret alors se manifesta même chez les peuples en faveur de cette propriété royale, qui, si elle leur donnait un maître, au moins ne leur en donnait qu’un et toujours le même. Encore mieux valait ce droit-là qu’aucun autre. Obéir pour obéir et appartenir pour appartenir, c’est tout profit pour un peuple de vivre sous le sceptre d’une vieille famille, qui parle sa langue et partage ses souvenirs, plutôt que d’être dévolu tour à tour au neveu, au frère, au beau-fils d’un conquérant, comme une part de butin dans le fruit d’une bataille. A tant faire que d’être une propriété, il faut tâcher d’être un bien patrimonial et non pas