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française vint subitement lancer le principe qui en détruisait le fondement même. En proclamant, avec la généralité absolue qui caractérisait toutes ses maximes, qu’une nation appartient non à ses rois, mais à elle-même, que la souveraineté est son bien, son droit, dont elle ne peut déléguer que l’exercice, dont elle ne peut se dessaisir que par un mandat toujours révocable et conditionnel de sa nature, la révolution française dissolvait cette union de la dynastie et de l’état, cette confusion de la propriété et de la royauté qui était le nœud de tout le système politique de la vieille Europe. La souveraineté populaire sapait la base de tous les traités existans, en même temps qu’elle renversait idées, habitudes, sentimens, le fond même de l’esprit de tous leurs négociateurs. Si la proclamation abstraite ne fut pas sur-le-champ comprise, les faits qui suivirent ne tardèrent pas à en donner une explication trop claire. La surprise causée par le principe ne fut égalée que par l’horreur de la première application. Un roi, quel roi ! l’héritier du type de la royauté par excellence, descendant l’un après l’autre tous les degrés du trône pour monter ensuite toutes les marches d’un échafaud, voilà sous quels traits repoussans la nouvelle doctrine se fit connaître aux esprits qu’avait formés une éducation monarchique de plusieurs siècles. M. de Bourgoing nous raconte comment la mort de Louis XVI rompit les dernières relations diplomatiques que la France entretenait encore avec les rois d’Europe, tous parens de l’auguste victime. C’était justice : la nature avait été trop souvent offensée par ces alliances royales ; c’était bien le moins qu’elle retrouvât ses droits devant la mort. Au fond cependant, je ne sais ce qui devait choquer le plus un bon roi et un bon royaliste de l’ancien régime, ou de l’usage sanglant que la convention nationale fit en 1793 de la souveraineté populaire, ou du commentaire froid, raisonné, philosophique, mais arrogant qu’avait déjà donné deux ans auparavant la constitution soi-disant monarchique de 1791. Le petit-fils de Louis XIV consentant à devenir le premier des élus de la nation et à tenir d’un serment fait au peuple un pouvoir renouvelé et mutilé aurait paru à son aïeul plus humilié par cette condescendance même que lorsqu’on le vit traîné sur le banc des accusés ou garrotté sur la fatale charrette. La moindre injure à l’étiquette, permise et soufferte, viciait plus l’institution royale qu’un attentat violemment porté à la justice et à l’humanité.

Mais le jour où l’humiliation du vieux droit monarchique fut à son comble, ce fut celui où, comme M. de Bourgoing devra bientôt nous le raconter, les victoires des armées républicaines forcèrent les souverains à demander sinon une paix définitive, au moins une trêve pour respirer. Il fallut alors entrer en pourparlers, traiter