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états-généraux, avaient presque partout disparu, et l’abus, marchant sans se gêner en compagnie de l’usage, se donnait carrière tout à son aise. Les pays même, comme l’Angleterre, où trop de précautions étaient prises pour prévenir les excès du pouvoir royal étaient mal famés, réputés bourgeois et peu monarchiques, et une fin funeste leur était prédite par toutes les bonnes têtes des cabinets d’Europe. Sans doute enfin il n’y avait pas des rois et des dynasties partout. Le nom de république était conservé à Gênes, à Venise, à La Haye ; mais le nom plus que la réalité, et dans ces prétendues républiques le pouvoir, confié à l’oligarchie d’un petit nombre de familles qui se le transmettaient de père en fils, formait entre ces mains patriciennes une sorte de royauté collective ; c’était la propriété indivise, mais toujours la propriété.

Quelque jugement qu’on porte sur les effets que produisait dans l’intérieur de chaque état cette prédominance d’un homme ou d’une famille (et je ne voudrais pas être chargé de porter la sentence, de peur de la rendre trop sévère), il faut convenir qu’en ce qui touche les relations des peuples entre eux un tel régime avait certains avantages que l’équitable histoire doit enregistrer. L’unité du pouvoir simplifiait singulièrement les rapports diplomatiques. Les différends dont dépend la paix des états étaient discutés paisiblement, discrètement, à huis clos, sans être envenimés par les violences ou les caprices de l’opinion. La signature royale une fois donnée, tout était dit : point de discussion de presse ou de chambre législative pour en contester la validité ; l’honneur monarchique et la foi de gentilhomme en assuraient le respect. A défaut de ces deux garanties, qui plus d’une fois, j’en conviens, ont failli l’une et l’autre, la sécurité des rapports était maintenue entre souverains par la permanence des intérêts. Chaque cabinet avait sa tradition politique parfaitement connue de tous les autres, transmise avec la couronne du père au fils. Le titulaire mort, l’héritier montait au trône, nourri des mêmes conseils, dressé à suivre les mêmes vues, adonné à la poursuite de la même ambition. Personne n’était pris au dépourvu, car chacun savait d’avance ce que désirait son voisin et ce que prétendait son rival. Les peuples eux-mêmes ne perdaient pas autant que notre fierté moderne pourrait le croire à s’être ainsi incarnés dans un seul homme, car cet homme, faisant sa chose de la leur, défendait leurs intérêts avec la ténacité de l’égoïsme et l’esprit de suite qui naît de l’esprit de famille. Un roi travaillait à rendre son état puissant, riche et beau, comme un propriétaire accroît son fonds, comme un laboureur engraisse son champ, comme un seigneur orne son manoir. À cette fusion de l’intérêt dynastique et national, opérée par les siècles, tout dans ces vies royales était ou consacré ou sacrifié : les études et les jeux de l’enfance, les travaux et les