Page:Revue des Deux Mondes - 1868 - tome 73.djvu/56

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Parménide, et nous pourrions citer un ancien professeur de philosophie qui vient de reprendre cette thèse en se fondant sur les nouveautés parfois bizarres qui distinguent le Timée des autres écrits de Platon[1]. Les remarques peuvent être fondées en fait, mais la conséquence qu’on en tire est forcée. Comment prouver que Platon n’a pu dans le Phédon se montrer sur la vie à venir plus affirmatif que Socrate lui-même (encore ne T est-il pas tout à fait), et introduire dans le Timée, avec le ton du doute, un essai de système du monde d’origine pythagoricienne, en tâchant de raccorder cette hypothèse avec certaines croyances religieuses, avec ses propres opinions politiques et sa théorie des idées?

Il ne faut jamais oublier que la philosophie de Platon n’est nulle part exposée d’une manière systématique et définitive. Peut-être même dans sa pensée ne formait-elle pas un système. Lorsqu’on veut lui donner cette forme, on est toujours près de la dénaturer, de lui prêter du moins un enchaînement, une précision, une rigueur, quelque chose d’arrêté et de péremptoire qu’elle n’a pas dans les monumens originaux. A côté d’une doctrine presque toujours présentée par fragmens, indiquée en passant comme une probabilité, on y rencontre une foule d’hypothèses, d’explications essayées, d’opinions provisoires, de conséquences apparentes, qui résultent du cours de la discussion, mais qui seraient loin d’en être le terme, si elle était poussée jusqu’au bout, ce qui arrive assez rarement à Platon. Tout le monde reconnaît que dans certains dialogues il est difficile de savoir où il en veut venir. On a varié sur le sens et la valeur des solutions qu’il donne ou laisse entrevoir aux questions qu’il semble traiter. On ne distingue pas même toujours de quelle question il s’agit, et le sujet apparent n’est pas toujours le sujet réel. On le suppose du moins, et l’on s’efforce d’admirer dans cette incertitude un secret de l’art, un moyen de surprendre ou de plaire, une grâce, une finesse. Cette supposition, plausible quelquefois, deviendrait, si l’on en abusait, une sévère critique, et celui qui l’aurait habituellement méritée perdrait beaucoup de ses droits au titre de philosophe sérieux. Sans doute il y a du bel esprit dans Platon, et ce n’est pas son plus grand côté. Aussi, de crainte de le rabaisser en supposant trop souvent qu’il a voulu briller à tout prix et s’amuser de son sujet et de son lecteur, on a mieux aimé rejeter comme apocryphes ceux des dialogues que des obscurités, des équivoques ou des inconséquences rendaient trop difficiles à rattacher à ses principales doctrines. Ceux qui voudraient les concevoir comme un tout définitif et complet se préparent en effet de grands embarras. Il ne leur reste que le choix

  1. Le vrai et le faux Platon, par M. Ladevi Roche; Bordeaux 1867.