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la loyauté des institutions représentatives, ont une grande vertu de conciliation. Avec le maintien de la paix et de l’ordre, avec les progrès de la richesse industrielle de l’Autriche, dont les symptômes sont si apparens, on peut espérer que les rivalités de races finiront par s’éteindre. Si une partie des Tchèques de Bohême cède aux avances du panslavisme russe, pour résister à la propagande de son ambitieuse voisine, la monarchie autrichienne peut compter sur l’élément polonais de la Galicie. Si les nouvelles combinaisons autrichiennes réussissent, la souffrante et vivace Pologne trouvera dans ce succès une consolation et une espérance. Il survivra au moins quelque part un fragment de Pologne gouverné dans l’esprit de la civilisation européenne, à l’abri des tyrannies et des conquêtes acharnées à l’œuvre de dénationalisation. Le refuge, le concours et peut-être un jour l’aide libératrice se trouveront pour la Pologne dans une Autriche régénérée et libérale. Ainsi l’ont compris depuis longtemps des Polonais éminens, ainsi l’espérait avec son opiniâtreté et sa sérénité patriotiques ce brave général Ladislas Zamoyski, que nous avons vu si noble et si persévérant dans la défense de la cause nationale, et dont un si grand nombre d’admirateurs et d’amis émus accompagnaient hier la dépouille mortelle.

Devant ce recueillement où M. Bismarck fait profession de s’enfermer durant quelque temps, devant cette vie nouvelle qui s’essaie en Autriche, devant la France et l’Angleterre qui travaillent à l’amélioration du sort des populations chrétiennes d’Orient, mais qui ne veulent point laisser affaiblir la Turquie au profit de l’influence russe, on se demande à quelle attitude le cabinet de Pétersbourg va faire servir les voyages de ses ambassadeurs de Paris et de Constantinople. Nous ne pensons point que le gouvernement russe puisse aller au-delà des grands airs mélancoliques qu’il s’est habitué à prendre à l’égard des chrétiens orthodoxes d’Orient et de la Porte-Ottomane. La Russie n’a point assez de ressources pour accomplir les vastes entreprises auxquelles elle semble aspirer, mais qu’elle est toujours impuissante à réaliser. Sa situation financière est pitoyable ; les dépenses de la guerre de Crimée pèsent encore sur elle, et surchargent la circulation de son papier-monnaie, lequel n’est en définitive qu’une dette flottante qui ne porte point d’intérêts, mais dont le public subit la dépréciation par la perte du change. Pour être un grand état dans la civilisation moderne, il faut être mieux outillé que la Russie en matière financière. On est donc fondé à espérer que la paix ne sera point troublée en Orient, où rien ne finit. Peut-être pourra-t-on voir encore de notre temps les effets d’une expérience tentée à Constantinople sous l’influence de notre ministre des affaires étrangères, M. de Moustier, et de notre ambassadeur, M. Bourée. Il s’agit de fonder à Constantinople un collège à la française, où des centaines d’enfans turcs recevraient une éducation européenne dirigée par des profes-