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chacun d’eux concourent au bien de tous. C’est un fait d’expérience récente et parlant à toutes les intelligences que les guerres des dernières années ont été provoquées non plus, comme il arrivait quelquefois dans le passé, par des haines internationales, mais par des combinaisons de cabinet et d’obscurs calculs dynastiques. Il n’y a plus que des ambitions de familles souveraines ou la fièvre des conceptions diplomatiques qui puissent mettre aux prises entre elles les nations modernes civilisées. Tout progrès d’un peuple dans les institutions libérales et dans la richesse économique augmente son antipathie contre la guerre et son intelligente sympathie pour la paix. La somme des risques de guerre croît ou diminue entre les peuples de même civilisation suivant que s’étend où se restreint le pouvoir personnel des chefs de monarchies. Cet enseignement n’est-il point saisissant, et sera-t-il sans vertu sur les peuples européens qui pensent et qui sentent ? Quand nous aurons tous armé à outrance, quand aucun des grands états de l’Europe ne sera plus exposé au déplaisir de voir attribuer sa modération à sa faiblesse, le moment ne sera-t-il pas venu de prendre un grand parti et de se demander si l’on aura enfin la paix ou la guerre, ou la paix attristée, morfondue et rendue stérile par les préoccupations belliqueuses ? Au jour de ce décisif examen de conscience, tous les esprits de bonne foi seront conduits à reconnaître que les peuples européens ne peuvent se donner des garanties mutuelles qu’en étendant leurs libertés intérieures, et qu’ils doivent renoncer à chercher le gage de la paix dans les alliances dynastiques.

Hors de France et en France, la même conviction grandit de jour en jour, c’est que la détente qui serait si heureuse pour la communauté européenne ne peut être produite que par une marche hardie et généreuse de la France vers la liberté politique. Pour n’avoir plus personne à redouter sur le continent et cesser d’inspirer nous-mêmes des défiances aux autres, il faudrait que les conditions de la liberté fussent acceptées chez nous avec logique et avec franchise. Les peuples modernes ont besoin d’avoir devant eux de vastes espaces éclairés et sans embûches, et la liberté seule donne la lumière et la confiance ; ils ont besoin de se sentir portés par des courans puissans et certains où se réunissent leurs pensées, leurs activités, leurs volontés communes. La France pourra incontestablement, quand elle le voudra, ouvrir un courant semblable à l’Europe par son initiative et par son exemple. On sera bien forcé d’en venir à cette résolution, car l’état de l’Europe ne comporte plus guère de combinaisons d’alliances systématiques. Les puissances, au lieu de se lier par des garanties positives indépendantes des caprices de leurs gouvernemens, ne peuvent plus échanger que des assurances pacifiques par formule verbale. On est confirmé dans cette appréciation quand on examine nos rapports avec les puissances continentales.

La Prusse est, comme nous, un des premiers états exposés au danger