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tecte. Et quel goût celui de l’heure où nous vivons, quelle mode et quel style! Un monument ne représente rien, sinon de belles formes exprimant noblement une idée architecturale. Qui a bâti le dôme de Cologne, nul avec certitude ne le peut dire. Ictinus, Mnésiclès, Callicrate, sont connus des seuls savans, et combien parmi les gens du monde ont besoin de réfléchir avant de dire qui d’entre eux a construit le Parthénon et qui les Propylées? Or la personnalité de l’architecte, qui, dans un art où la matière a tant de part, doit naturellement s’effacer, ici, contre tous les principes, prend à tâche de se mettre en avant, de tirer l’œil. Ne nous trompons pas sur les mots : quand je dis individualité de l’architecte, j’entends parler de tout ce style du moment qu’il personnifie, de cet art et de cette mode dont, qu’il le veuille ou non, il subit la désastreuse influence. Qu’est-ce que cela représente? On ne le voit que trop. Notre âge pourtant méritait mieux; il y avait peut-être dans ce siècle d’autres momens à faire parler, et c’est vraiment du luxe de choisir, pour la préconiser de la sorte aux yeux de la postérité, la date de la Famille Benoîton et de la Belle Hélène. A de tels chefs-d’œuvre, leur immortalité propre suffisait, l’architecture n’avait nul besoin de s’en mêler, et puis croit-on qu’il soit possible d’élever sur un pareil terrain un monument quelque peu digne de symboliser les beaux-arts? J’admets pour un instant que cette construction soit un chef-d’œuvre. Il suffit qu’elle se montre ainsi placée entre deux montagnes de pierre s’ouvrant au rebours de la perspective pour que l’aspect décoratif soit tout de suite compromis, ruiné. Lorsque les architectes de l’antiquité et du moyen âge bâtissaient leurs édifices, ils en choisissaient avec soin la place, et ne manquaient jamais de l’élever par une plate-forme et des marches bien au-dessus du terre-plein. Cette fois c’est juste le contraire qu’on nous offre, et le regard se détourne du sujet principal, attiré qu’il est par les masses prédominantes qui l’environnent. Aussi quel effet mesquin, aplati, écrasé! le soubassement entièrement sacrifié au luxe polychrome, au clinquant du premier étage! Faites que le Parthénon, au lieu d’avoir pour piédestal son rocher qui l’isole, soit, comme la Madeleine, enveloppé par quatre rangs de maisons vulgaires, il restera sans doute encore le Parthénon; mais qu’en deviendra la valeur décorative? L’importance énorme de l’emplacement, voilà ce qu’on oublie aujourd’hui, ce qu’on ignore. Imiter, copier les hôtels du Garde-Meuble et de la Marine, rien de mieux, mais à la condition qu’on ne supprimera pas les hautes arcades qui donnent à ces deux constructions tant d’élégance, de grandeur suprême, à la condition surtout que la copie de cette œuvre exquise de l’architecte Gabriel, après avoir été intelligemment comprise, exécutée, s’élèvera comme l’original sur la place Louis XV, dans un vaste espace, baigné d’air et de lumière, entouré de verdure, et laissant à l’œil le recul nécessaire pour mesurer un édifice.


F. DE LAGENEVAIS.