ble avancer ou retirer tour à tour, les fantaisies ou les artifices d’un esprit libre, mobile et d’un talent qui se joue à travers les plus graves méditations, peuvent donner le change au lecteur sur la pensée du philosophe, ou lui imposer de bien attentives recherches pour la retrouver et la saisir. Nous ne pouvons donc que savoir gré à M. Grote d’avoir entrepris de représenter à tous et surtout à ses compatriotes l’œuvre entière de Platon comme il la comprend, et d’en traduire les diverses parties dans un langage qui en facilite l’intelligence et l’appréciation. Il resterait à savoir s’il l’a toujours vue et montrée sous son vrai jour, et si c’est à la balance de ses opinions personnelles que le platonisme devrait être pesé.
Je n’insinue pas qu’il ait échoué dans son entreprise, bien au contraire; mais enfin M. Grote est baconien, je devrais ajouter, s’il me le permet, qu’il est positiviste. On ne saurait dire que ce fût là précisément ce qu’il faut être pour s’identifier avec l’esprit du platonisme. Cependant, outre qu’un philosophe, s’appelât-il Platon, doit se résigner à être jugé par tout le monde, il peut être aussi instructif qu’il est piquant de voir l’idéalisme soumis au contrôle d’une doctrine qu’il récuserait comme un vulgaire empirisme, et je m’empresse d’ajouter que l’esprit éclairé, exact et pénétrant de M. Grote, que sa scrupuleuse sincérité, que sa connaissance profonde de l’antiquité, qu’enfin sa sympathie générale pour l’art et le génie de l’Attique, en font le plus équitable et le plus intelligent des adversaires, et l’ont plutôt entraîné quelquefois à attirer Platon à lui qu’à le repousser comme un séducteur dangereux.
Adoptant une idée qui a souvent guidé M. Cousin dans l’histoire de la philosophie, je dirai même que, s’il est vrai que tout système tende à ne considérer qu’un côté de la vérité, toute appréciation critique, étant elle-même systématique, incline à ne voir qu’un côté du système. Il pouvait donc être fort à propos que, venu d’un autre point de l’horizon philosophique, un interprète, un juge nouveau sût tempérer la tendance du platonisme cartésien de notre école à se faire un Platon tout à son image et à le confisquer tout entier à son profit.
Ce serait une longue tâche, ce serait tout un livre, que la justification de cette première idée par l’examen des principaux ouvrages de Platon ou des principaux points de sa doctrine, tels qu’ils sont entendus et discutés par M. Grote. Nous recommandons ce travail à de plus compétens. Bornons-nous à quelques réflexions générales sur la difficulté de se former une idée juste et complète de cette célèbre philosophie. Indiquons quelques-uns des moyens qu’on a pris pour y réussir et des résultats qu’on a cru obtenir; enfin montrons à l’occasion ce qu’il faut penser d’une ou deux