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se dit que certes M. de Camors, lors de l’accident de l’orage, ne porta pas plus légèrement le beau fardeau de la marquise de Campvallon, qu’il n’a, lui, porté légèrement le fardeau de son terrible récit. Aisance, légèreté, économie de force dans un sujet difficile et qui appelait naturellement l’exagération, voilà le premier point à noter, et on ne saurait le marquer avec trop de netteté.

Le second point, c’est que le sujet est aussi moral qu’il était dangereux, et c’est même dans cet intérêt moral que se rencontre la nouveauté du roman. Il est une vieille tragédie, émouvante autant qu’elle est ancienne, que l’histoire nous présente sous mille formes différentes, que les poètes et les romanciers nous ont racontée et nous raconteront éternellement sans lasser notre intérêt. C’est celle d’un homme né pour de grandes choses dans l’ordre intellectuel ou dans l’ordre politique, brisé par un vice de nature imprudemment caressé, par une volonté imparfaite ou par une disproportion excessive entre la conception des pensées et les moyens de réalisation. Là le ressort dramatique, le fait générateur des catastrophes et du drame est inhérent à l’âme même, attaché à sa substance, et par conséquent fatal comme la nature et inéluctable comme la destinée. Devant de tels spectacles, nous éprouvons un saisissement religieux, une sorte d’effroi sacré qui peut bien nous plonger dans des abîmes de rêveries profondes, mais qui est pour nous sans enseignement direct, et qui ne peut nous fournir aucune ressource pour notre perfectionnement moral. Nous sentons qu’à la place du héros dont on nous raconte la belle et terrible histoire nous aurions sombré comme lui, parce que la catastrophe était arrêtée d’avance par la nature et aussi certaine que la mort est certaine pour chacun de nous. Il n’en est pas ainsi de l’histoire de M. de Camors. Le drame de sa vie n’a pas été écrit d’avarice aussi formellement dans le livre de la destinée, la cause génératrice de ses infortunes n’est pas unie d’une manière aussi intime à la substance de sa nature. Un germe moral en quelque sorte parasite, qu’il dépendait du personnage d’expulser de son âme, s’est introduit en lui, et, y grandissant sans être contrarié, a fini par la faire éclater, comme les arbres qui, poussant à l’aventure dans l’intérieur des édifices abandonnés, brisent de leurs rameaux les murailles entre lesquelles ils ont grandi. La catastrophe de M. de Camors a son origine dans un simple vice d’éducation ou, pour parler avec plus d’exactitude encore, dans l’adoption imprudente d’un mauvais principe d’action. Par là il peut produire sur nous non-seulement cette émotion poétique qu’il est du devoir de tout héros de roman d’inspirer au lecteur de ses aventures, mais encore une impression d’un ordre moral qui équivaut à un enseignement. Il nous donne plus qu’un plaisir littéraire,