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II.

Nous ne suivrons pas la Novara dans ses stations en Chine, d’où M. von Scherzer a rapporté une quantité de données du plus haut intérêt pour la connaissance du commerce de l’extrême Orient. Le sujet est trop vaste et mériterait une étude spéciale. Arrêtons-nous seulement à Sidney, capitale de la Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. C’est dans cette contrée, plus encore peut-être qu’en Amérique, qu’on peut comprendre toute la valeur du mot progrès. Dans l’espace de vingt ans, la population s’est accrue dans la proportion de 1 à 6, et le commerce dans la proportion de 7 à 20. Sidney, ce bagne des antipodes, où l’Angleterre envoyait ses convicts, est aujourd’hui une ville de 100,000 âmes, mieux bâtie et infiniment plus riche qu’une cité européenne de même importance. Le plus beau monument de la ville est l’université, qu’on vient de construire au prix de 2 millions 1/2 de francs. Le parlement n’hésite jamais à voter des subsides quand il s’agit d’écoles et d’établissemens scientifiques. Ici comme en Amérique, on comprend le rapport étroit qui existe entre la diffusion des lumières et celle du bien-être.

Ce qui fait la richesse de l’Australie, ce n’est pas tant l’or de ses placers que le nombre de ses moutons. La multiplication du bétail est tellement rapide qu’elle exercera bientôt sur le marché européen et sur toute notre économie rurale une influence dont il sera prudent de tenir compte en temps utile. En 1796, toute la Nouvelle-Galles ne possédait que 57 chevaux, 227 bêtes à cornes et 1,531 moutons. En 1861, on y comptait 6,110,663 moutons, 2,408,586 bêtes à cornes, et 251,477 chevaux pour 360,000 habitans. En 1865, le chiffre des moutons s’était élevé à 11 millions : en six ans, il avait doublé. Pour toute l’Australie, ce chiffre doit aller aujourd’hui à près de 30 millions, soit 3 millions de plus que n’en possède la France avec ses 38 millions d’habitans. Cette progression vraiment merveilleuse s’explique facilement. Pour un prix nominal, on obtient de l’état la location d’un parcours (run) de plusieurs milles carrés. Le mouton vit en liberté comme à l’état sauvage. La végétation n’étant jamais inactive, il ne faut pas faire de provisions de fourrages pour un hiver qui n’existe pas, et la construction d’abris est tout à fait superflue. Un seul berger suffit en moyenne pour la garde de 2,000 moutons. Le sol australien, d’une fertilité médiocre, sec, disposé en collines qu’ombragent par-ci par-là quelques bouquets d’arbres, convient admirablement à l’espèce ovine. Le seul fléau qui la décime parfois, ce sont les grandes sécheresses de l’été australien. Les cours d’eau sont alors mis à sec, les fon-