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dit-on, un caractère alarmant et encouragent les assassinats politiques. Preuve nouvelle que, pour maintenir l’ordre dans l’état, rien ne vaut la liberté.

Java est, je crois, la seule colonie qui rapporte à la mère-patrie un profit net très considérable sans l’esclavage et sans ruiner les indigènes. L’Inde au contraire, ce magnifique empire, ne donne à l’Angleterre que des déboires, un déficit annuel, des insurrections terribles et des inquiétudes perpétuelles. En outre la population souffre, elle est misérable, et de temps à autre d’épouvantables famines la déciment. La surface de Java est à peu près égale à celle de l’Angleterre. Située à 5 degrés au sud de l’équateur, le climat y est celui des tropiques; mais, comme l’intérieur de l’île est couvert de montagnes qui montent jusqu’à 10,000 pieds de hauteur, la chaleur y est tempérée, et il y règne un printemps éternel. A Buitenzorg, près de Batavia, résidence du gouverneur-général, le thermomètre ne varie presque pas. Le point le plus haut est 25° 43, le plus bas, 24° 38. Les indigènes sont de race malaise; c’est un peuple agricole converti au mahométisme vers la fin du moyen âge. Doux, pacifique, laborieux, il cultive bien ses champs de riz, en soigne les arrosemens, entretient convenablement ses habitations et est arrivé à un degré d’aisance et de civilisation presque aussi élevé que celui des Chinois. La population augmente avec une rapidité extraordinaire. En 1808, on la portait à 3,730,000; le cens de 1826 donnait 5,400,000, et celui de 1863 13,649,680. Le doublement a donc lieu en trente ans; c’est une proportion que n’atteignent pas les nations européennes les plus prospères, où le chiffre des habitans ne double que tous les cinquante ans, comme en Prusse et en Angleterre. En France, il faudrait cent trente ans pour arriver au même résultat. Le revenu annuel de Java monte à près de 235 millions de francs, soit environ 18 francs par tête, ce qui est énorme pour un état asiatique. L’Inde ne donne pas le tiers. Toute dépense payée, le surplus versé au trésor de la Néerlande flotte entre 20 et 65 millions de francs. Les Hollandais l’emploient à diminuer leurs dettes et à faire leurs chemins de fer. Ce résultat a été obtenu d’une façon qui mérite de fixer l’attention de l’économiste.

Dans tout l’Orient, le souverain, on le sait, est considéré comme le propriétaire du sol, et ceux qui l’occupent doivent lui en payer la rente. A Java, d’après les anciennes coutumes, le cultivateur devait livrer la cinquième partie de son produit et travailler pour son seigneur un jour sur cinq; mais les princes indigènes, abusant de leur autorité, exigeaient de leurs sujets jusqu’à la moitié des récoltes des rizières irriguées et le tiers de celles qui ne l’étaient point. Le