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genre : celui du sel, du four banal, de la dîme, des scieries. Avec cette fureur aveugle qui porte les peuples du midi à détruire partout les forêts, les Portugais mirent le feu à celles qui couvraient l’île entière; tout fut brûlé. Depuis lors beaucoup de sources vives furent taries à jamais, et aujourd’hui l’eau manque à Madère. Néanmoins, grâce à la culture de la canne à sucre et de la vigne qui fournissait le malvoisie, la prospérité de l’île alla croissant pendant deux siècles. Elle a dû être bien plus grande que maintenant, puisqu’on trouve des restes de bâtimens importans dans des lieux actuellement déserts. Le déclin semble dater du commencement du XVIIe siècle. Les couvens, se multipliant et s’enrichissant sans cesse, accaparèrent une grande partie des terres cultivées. Celles même qui échappèrent à la mainmorte furent grevées de certains droits nommés vinculos, que les mourans constituaient au profit des églises à la condition qu’un nombre plus ou moins grand de messes seraient dites annuellement pour le salut de leur âme. Ces vinculos non-seulement enlevaient une partie du produit net, mais avaient pour effet de limiter toute location à quatre années et de réduire ainsi les cultivateurs à un état très voisin du servage. Pour sauver les morts du purgatoire, on ruinait les vivans. Le marquis de Pombal abolit une grande partie de ces droits, et la révolution de 1821 supprima tous les couvens, moins trois, qui existent encore.

Aujourd’hui on, trouve ici le régime de la grande propriété combiné avec la petite culture. Les parcelles atteignent rarement un demi-hectare. Le comte de Carvalhal possédait le tiers de l’île et avait huit mille locataires. La population et le mouvement commercial tendent à diminuer depuis plusieurs années déjà. En 1836, le chiffre des habitans était de 115,446 sur les deux îles de Madère et de Porto-Santo. En 1854, il était tombé à 103,296 et en 1855 à 102,837, avant même que l’apparition de l’oïdium, qui en ravageant les vignes a ruiné le pays, ait pu faire sentir sa funeste influence. La récolte du vin se réduisit tout à coup de 30,000 pipes à 1,400. La valeur des exportations tomba de 4 millions de francs à la moitié environ. Les cultivateurs n’ont pas l’énergie nécessaire pour remplacer la vigne par une autre plante; ils préfèrent émigrer, et ils s’embarquent en grand nombre pour les Antilles anglaises. Le gouvernement actuel du Portugal n’épargne cependant aucun effort pour relever la trempe morale de ces populations découragées. Il a favorisé la diffusion de l’instruction primaire et l’a même déclarée obligatoire depuis septembre 1844; mais c’est en vain. De 17,500 enfans en âge d’école, 2,303 seulement sont inscrits, et 700 environ les fréquentent régulièrement. Les malades qui arrivent chaque année à l’automne, principalement d’Angleterre, dépensent dans l’île