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et concussions, le vol organisé en un mot, la grossièreté des mœurs est générale; dans les affaires, la probité commerciale est un terme qui n’est plus compris; le lien de la famille existe à peine; la corruption s’étale ouvertement et ne connaît plus de bornes. D’autres au contraire nous montrent dans l’Union américaine un modèle à suivre en tout, ainsi que faisait Tacite en présentant le tableau de la Germanie aux Romains de la décadence. Parmi ces jugemens contradictoires, auquel faut-il ajouter foi ? A ceux des indifférens peut-être qui n’ont pas d’opinion arrêtée ni de conviction faite? Le malheur est que ceux-là ne seront que des observateurs superficiels. Pour bien observer, il faut que l’esprit se soit posé un problème, sinon on voit mal, on ne comprend pas le sens des faits, on ne sait même pas interroger. On ne poursuivra pas avec fruit la solution d’un problème sans y apporter un vif intérêt qui résulte de certaines croyances, de certains principes, ressort profond de la vie spirituelle. Pour bien juger une religion, a dit M. Renan, il faut avoir cessé d’y croire après y avoir cru. Voilà la formule de cette suprême indifférence que quelques-uns croient indispensable à la saine critique et à l’impartialité des jugemens. L’inconvénient est qu’en perdant la foi le critique cesse souvent de comprendre la puissance des sentimens qui ont remué le monde et qui l’agitent encore. En résumé, chaque fois qu’il s’agit des manifestations de la liberté humaine, les bons observateurs sont rares, et c’est pour ce motif que nous attachons un grand prix aux récentes publications de M. von Scherzer. En s’occupant de questions sociales, il a su conserver les habitudes d’investigation du naturaliste. Il n’est pas arrivé au dilettantisme scientifique et à l’indifférence politique, on devine que c’est un bon patriote et un ami de la liberté qui écrit; mais ses préférences ne semblent jamais influencer ses jugemens. On sent qu’il s’efforce avant tout de montrer les faits tels qu’ils sont, sauf aux autres à en tirer les conclusions plus éloignées qui en découlent. Il n’y a que les Allemands qui sachent être aussi complètement objectifs. Ils se dédoublent, pour ainsi dire, en deux hommes, l’un qui a des principes très arrêtés et des passions très vives, l’autre qui sait voir et observer comme s’il n’en avait point.

Parmi les enseignemens qu’on peut tirer des volumes de M. von Scherzer, il en est un que je voudrais mettre en lumière, parce qu’il peut avoir quelque à-propos en France et en Autriche. En France, la chambre des députés, à l’unanimité moins 17 voix, vient de garantir, autant du moins qu’il dépend d’elle, une éternelle durée au régime qui existe à Rome. En Autriche, le gouvernement a consenti, il y a quelques années, à subir le joug de la théocratie, et y a enchaîné le pays par un concordat. Si ce régime est con-