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lions d’hommes sous la main d’un ministre. Le secret était donc la condition obligée de toute action collective, et les confédérés bretons, placés sous ce rapport dans une situation beaucoup plus dangereuse que celle des gentilshommes polonais, durent en faire la condition principale du pacte qui allait les unir. Dans le courant du mois d’août 1718, sous le coup de l’émotion provoquée dans les états par l’enlèvement d’un si grand nombre de leurs membres, une ligue se formait à Dinan pour le maintien des droits et des libertés de la Bretagne. Primitivement organisée par la noblesse, cette ligue fut ouverte aux membres des deux autres ordres qui consentiraient à y adhérer, et fut déclarée placée pour tous les signataires sous la double garantie du serment et du secret.

Malgré la rigueur avec laquelle le silence était prescrit, ce pacte ne renfermait aucune disposition et ne masquait aucune arrière-pensée que les plus fidèles serviteurs du roi ne pussent confesser en plein soleil; mais c’est le châtiment du despotisme de transformer presque toujours la résistance légale en hostilité. L’acte rédigé à Dinan, et dont les membres des états répandirent des copies jusqu’aux extrémités de la péninsule, est indiqué à chaque page de la volumineuse procédure instruite à Nantes par la chambre criminelle comme la base même de la conspiration que cette chambre reçut mission de punir. A la manière dont en parlent les commissaires de 1720, les cinq cents citoyens qui le revêtirent de leur signature auraient été les instigateurs ou les complices des malheureux dont on fit tomber la tête ; mais les commissaires se gardent bien de faire connaître au public cette pièce fondamentale, encore qu’ils l’aient entre les mains. Les historiens français qui ont parlé de la conspiration bretonne, depuis Duclos jusqu’à Lémontey, ont agi comme MM. de Châteauneuf et de Vastan, président et procureur-général de la chambre criminelle. L’auteur de l’Histoire de la régence, enseveli dans les cartons confiés à son zèle par le gouvernement impérial, n’a pas pris la peine de l’aller chercher à Rennes dans le journal manuscrit du président de Robien. Le texte original aurait rendu plus malaisé de traiter la noblesse bretonne engagée dans la revendication de ses droits constitutionnels comme une bande de hobereaux ivres, incapables de rien comprendre aux questions sur lesquelles ils avaient l’impertinence d’émettre un avis[1]. On va

  1. En regard du tableau que je viens de tracer, d’après des documens authentiques, de l’orageuse tenue de 1718, je crois devoir placer la caricature esquissée dans l’Histoire de la régence. « La plupart des nobles bretons vivaient pauvres, oisifs, étrangers à toute culture d’esprit, et se formaient, à la manière des sauvages, les idées les plus exagérées de leur importance. Ne pouvant plus comme leurs aïeux exercer le brigandage pittoresque décoré du nom de chevalerie, ils bornaient leurs violences à faire la guerre aux employés du fisc. Le petit nombre de députés que la bourgeoisie envoyait aux états se voyait accueilli, à la moindre discussion, par la menace de ce traitement honteux dont la tactique allemande a fait une peine militaire... Les états assemblés en 1717, au lieu de voter le don gratuit par acclamation, voulurent vérifier auparavant la situation de leurs finances. La cour s’alarma d’une nouveauté qui changeait une forme gracieuse en un droit absolu. Les états furent dissous, et leurs membres les plus ardens exilés. Les conseils modérés du maréchal de Montesquieu et le repentir des novateurs abrégèrent la durée de cette rigueur. On fixa la reprise des séances au mois de juillet 1718. Cette session nouvelle eut tout le caractère d’une perfidie méditée. Sous le faible prétexte d’un arrêt du conseil relatif à des droits d’entrée, la noblesse protesta et le parlement eut l’audace d’enregistrer cet acte irrégulier. Cette folle conduite des Bretons était applaudie par tous les ennemis de la régence. » Lémontey, t. Ier, p. 246.